L’Ukraine, prise au piège de l’impérialisme.

Long article de la revue Positions d’un point de vue anti-impérialiste du conflit en Ukraine.
Il s’agira de poser un regard froid sur les tendances économiques, politiques et militaires de la période récente et les éclairer à la lumière de la poursuite par les acteurs de leurs intérêts.

Depuis la chute de l’URSS, la Russie et les Etats-Unis sont engagés dans une compétition économique et militaire sur le cadavre du bloc de l’Est. Entre 2008 et 2022, la confrontation s’est accélérée à la faveur d’un impérialisme russe décidé à s’opposer à l’hégémonie américaine qui dominait seule la scène internationale. Sur le continent européen, Vladimir Poutine a vu dans l’intégration de l’ancien Pacte de Varsovie au sein de l’Union européenne et de l’OTAN une remise en cause des garanties de sécurité promises par le camp atlantique et une mise en danger des débouchés économiques que représentent le marché européen pour l’économie rentière russe. La montée des tensions s’est alors traduite par une série de conflits au sein des pays frontaliers de la Russie et la projection de la puissance russe sur la scène internationale qui est venue contester les rapports de forces installés par le camp occidental. Comprendre la guerre aujourd’hui demande de retracer l’escalade de cette guerre commerciale qui, depuis l’invasion russe de l’Ukraine, a fait du spectre d’un conflit militaire généralisé et de la menace nucléaire une réalité sur le continent européen.

Si l’agression russe, en solidarisant le camp occidental, a ainsi donné des airs de guerre froide à l’actualité, le choix d’une analogie historique devrait plutôt se porter sur la situation du début du XXème siècle, où la compétition économique féroce entre les intérêts privés des nations européennes avait plongé le continent dans la guerre. Loin de représenter une quelconque alternative idéologique, ou même un espace symbolique sur lequel s’appuyer pour contester le règne de la marchandise, la Russie de Poutine est bien l’expression d’un capitalisme brutal et kleptocratique qui s’offre en adversaire utile pour une prédation occidentale tapie derrière le masque de la démocratie libérale. En 1916, Lénine notait que : « Si les capitalistes se partagent le monde, ce n’est pas en raison de leur scélératesse particulière, mais parce que le degré de concentration déjà atteint les oblige à s’engager dans cette voie afin de réaliser des bénéfices » [1] identifiant la confrontation militaire des Etats à la continuation d’une politique de compétition économique engagée en temps de paix. La guerre se présentait alors comme un ultime recours pour départager les intérêts des monopoles économiques et bancaires formés par le processus d’accumulation du capital. C’est par ce prisme qu’il faut tenter d’offrir une lecture de la crise impérialiste actuelle en sortant l’analyse de la demande de ralliement à l’un des deux camps qui fracture le champ politique.

Cet article tentera donc de proposer un court exposé, non exhaustif, du déploiement de l’impérialisme russe et de sa confrontation de plus en plus vive avec le camp occidental. Il s’agira de poser un regard froid sur les tendances économiques, politiques et militaires de la période récente et les éclairer à la lumière de la poursuite par les acteurs de leurs intérêts. Dans les conséquences directes de l’impérialisme, Lénine soulignait aussi la diffusion d’un chauvinisme poussant les populations à venir au secours de sa bourgeoisie nationale et de ses guerres. Dans un deuxième temps, l’article se penchera donc sur certaines dispositions chauvines qui se confondent aujourd’hui avec l’expression sincère de la solidarité avec le peuple ukrainien pour produire une réflexion critique sur les prises de position de divers acteurs de la gauche française.

Trente ans de compétition sur le cadavre du bloc de l’Est

La responsabilité première de la guerre incombe incontestablement au gouvernement russe qui a fait le choix d’envahir l’Ukraine. Cette agression violente qui soumet le peuple ukrainien aux bombardements, aux assauts terrestres et aux sièges doit susciter la plus ferme condamnation. La recherche de la paix demande cependant de s’extraire d’une lecture unilatérale qui verrait dans le soutien actuel des puissances occidentales à l’Ukraine, l’expression de son caractère désintéressé et la défense du droit du peuple ukrainien à son autodétermination.

En 2007, Vladimir Poutine avait fait part dans un discours [2] de la 43ème édition de la Conférence sur la sécurité de Munich de son opposition à l’advenue d’un monde unipolaire avec un « unique centre du pouvoir » et « un seul souverain », un monde qu’il jugeait « inadmissible et impossible ». Au cœur de ses préoccupations, le président russe pointait alors la volonté hégémonique des Etats-Unis considérant « que l’élargissement de l’OTAN n’a[vait] rien à voir avec la modernisation de l’alliance, ni avec la sécurité en Europe(…) » mais représentait « une provocation sérieuse et abaiss[ait] le niveau de la confiance mutuelle. ». Depuis, il n’a eu de cesse d’avancer cette grille de lecture pour justifier sa confrontation avec l’Occident et l’avancée de ses intérêts économiques, rudement protégés par un déploiement militaire toujours plus agressif.

De nombreux acteurs diplomatiques occidentaux reconnaissent cependant aujourd’hui le caractère fautif de la pression exercée par le camp occidental à l’encontre de la Russie dans la situation actuelle d’une Europe en alerte. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères français estime par exemple que « Le Poutine de 2022 est largement le résultat, tel un monstre à la Frankenstein, des errements, de la désinvolture et des erreurs occidentales depuis trente ans » et évoque, citant Kissinger ou Brezinski, « la provocation contre-productive d’annoncer l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan en 2008 » [3]. Ni le caractère détestable de la politique de Vladimir Poutine, ni le fondement autoritaire de son pouvoir n’excusent en effet l’attitude du camp occidental qui s’est lancé à l’assaut du Pacte de Varsovie.

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Notes :

[1Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916 https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp5.htm

[2Le discours peut être visionné en intégralité ici : https://www.youtube.com/watch?v=ushWX7_tuDU

[3Hubert Védrine, « Poutine commet une erreur historique », Le Figaro, 24 février 2022

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