« Ce golf, s’ils arrivent à le faire, il sera célèbre. » - Interview d’un opposant au Golf des Crots

Après quelques actions et de la communication, le projet de golf au bord du lac de Serre-Ponson commence à être médiatisé. Toutefois seulement les personnes vivant dans l’embrunais et ses alentours semble vraiment au courant du projet qui revet une logique de développement touristique se développant dans une grande partie des Hautes-Alpes. Rencontre avec un opposant au golf.

Est-ce que tu pourrais présenter le projet ? Qu’est-ce que c’est ? Qui finance ?

C’est un vieux projet qui date depuis des décennies et qui a pour but d’aménager la garenne des Crots. Plusieurs projets ont été proposés, aujourd’hui c’est un golf. La garenne est une zone de reconquête forestière, c’est des terres qui ont été abandonnées après guerre. Maintenant constitué par, ce que les élu.e.s promoteurs/trices du golf appelle, de la mauvaise pinède1. En réalité, c’est une zone de reconquête dans laquelle il y a pas mal de biodiversité, et qui sera une belle forêt. L’idée est d’exploiter cette zone, car elle est au bord du lac de Serre-Ponçon et qu’elle n’est pas utilisée économiquement, ni troupeau, ni agriculture. Dans l’idée d’un développement économique, un golf ça serait bien, ça permettrait de faire travailler les saisonniers hors saison, et ça permettrait de monter en gamme, d’attirer des touristes de haute qualité, sans euphémisme, des riches.
Au début le projet était porté par la commune des Crots, mais maintenant que les communes n’ont plus trop de pouvoir, c’est la communauté de commune de Serre-Ponçon qui le porte avec, au départ 3 millions d’euros, maintenant 4. L’idée initiale était de faire un golf 18 trous, le minimum acceptable pour le public visé, mais vu que le projet impacterait les zones agricoles dans ces conditions, c’est-à-dire 50 ou 60 Ha, le projet a été réduit à 9 trous, donc utiliser 35Ha et aménager que la Garenne des Crots, pas de zone agricole.

Et actuellement où en est le projet ?

C’est un projet qui avance de manière sinueuse et souterraine. De ce que j’en sais, il a été demandé que les études soient le plus discret possible et que le public soit au courant du projet au dernier moment afin que les oppositions ne puissent pas s’organiser. Même les élus d’opposition, ne sont pas réellement informés de l’avancé du projet. Mais la stratégie des porteurs du projet est un peu ratée, ils ont pris beaucoup de temps, ils ont parlé du projet, on fait mine de se rétracter avant les élections municipales de 2020, alors que 135 000 € d’étude avait déjà été engagés. Malgré le fait qu’ils ne communiquent pas ces études, on a réussi à mettre tout ça sur la place publique en faisant une manifestation pour que les locaux soient au courant. Il y a un réel déni démocratique, 4M€ d’argent public pourrait être engagé et le but du jeu c’est que les citoyen.ne.s soit le moins au courant possible. On a dû obtenir par une fuite, une pièce du dossier qui devrait être public, alors qu’elle avait été demandée de manière officielle par un membre du collectif. On a donc lancé une procédure contre la communauté de commune à la Commission d’accès aux Documents Administratifs. Il y a cette volonté de pas parler du projet et c’est déjà un des objectifs qu’on a atteints.

Torrent du Boscodon

Quelles peuvent être les impacts écologiques du projet ?

La zone se trouve sur le cône de déjection2 du torrent du Boscodon, c’est pourquoi la reconquête par la pinède est longue et difficile. C’est une zone peu riche, c’est pour ça qu’elle avait été abandonnée. Pour l’installation du projet, il faudrait broyer les cailloux, puiser de la terre dans le lac, arroser la zone. Face aux critiques, les promoteurs de golf s’adaptent, un label golf pour la biodiversité a été créé, ce qui concrètement, aurait pour conséquence que la moitié des 35Ha serait engazonné et le reste serait laissé à la biodiversité. Il y a un greenwashing qui est fait pour valoriser certains efforts réels par rapport au golf traditionnel, mais ils prendront quand même de l’eau dans la nappe phréatique juste à côté, donc dans le lac, pour arroser via des pompes et faire pousser ce golf.

Comme je l’ai dit précédemment, c’est une zone de reconquête forestière, bien que certains disent que c’est une zone qui sert à rien, c’est un mauvais bois, il y a beaucoup d’espèce menacée, un peu comme partout vu que 40 % des espèces sont en voie de disparition. Il y a une quinzaine d’espèce protégé sur le site, selon l’étude réalisée par Ecotonia [1], des espèces végétales, et animales, comme le sonneur à ventre jaune qui est une espèce protégée vivant ici.
Concernant les arbres, actuellement il n’y a pas d’espèce spécifique sur la zone, la reconquête va se faire, et la zone devrait devenir une forêt bien plus riche en diversité.

Sonneur à ventre jaune

Qu’elles ont été ou sont encore les usages de cet endroit ? Qu’elles peuvent être les risques et les conséquences sociales ?

Je pense aussi que l’espèce qui est menacée c’est le touriste qui aime les espace sauvages, qui dort en camping-car ou qui plante sa tente. On voit peu à peu toutes ces zones qui permettent un tourisme de pauvre, sans dépenser, disparaître. C’est peut-être ça aussi la motivation sur le projet de golf, pourquoi des personnes viennent manger, dormir et se baigner gratuitement ?

Sinon sur son usage, cette zone a servi d’entrepôt pendant les années où des déchetteries sauvages étaient faites. Il y a eu un projet de kart qui a été abandonné parce que c’est une zone classée Natura 2000 au sein du parc national des Ecrins. Un mini-golf a été construit, puis qui a été interdit parce que c’est une zone classée. Et maintenant il y a un projet de golf, c’est ça qu’est assez drôle.

Actuellement pour les locaux, c’est la promenade du dimanche, c’est la zone où on fait du vélo, c’est là où les jeunes viennent boire un coup, faire un pique nique, un barbec… On va repousser ce public encore ailleurs, alors que c’est un bel endroit. Pour moi, le risque, c’est la privatisation d’un espace public qui servait beaucoup aux locaux dont je fais partie, ça c’est clair. On va empêcher une partie de la population d’accéder à ces endroits-là, il y en a d’autre c’est sur, mais ça restreindra le nombre de ces endroits. Ça nous entassera l’été pendant les périodes de fortes affluences. C’est le coin que connaissent les locaux pour éviter les zones de fortes affluences touristiques l’été.


Est-ce que tu peux nous parler des autres golfs qu’il y a dans le département ? Est ce que tu connais un peu leurs situations ?

Il y a 3 autres golfs dans le coin. Celui de Barcelonette est en déficit. La cour des comptes l’a épinglé pour ses dettes. Il a été construit quand l’armée est partie de Barcelonette, il fallait trouver des idées pour la reconversion touristique.
Il y en a un autre à Montgenèvre, qui se fait sur les pistes de ski l’été. Maintenant les pistes avec de la neige artificielle ne sont plus drainées, il n’y a plus de zone humide, et donc plus trop de la biodiversité. Les stations de ski, c’est de la pelouse artificielle donc utilisée ça pour le golf, y a pas un impact écologique très fort, c’est déjà des zones anthropisées.
Ensuite il y a le golf Bayard c’est, je crois, le seul golf qui est rentable, et encore, il fonctionne avec les pistes de ski de fond l’hiver, c’est un bon mixte pour eux. Mais il y a aussi un centre d’oxygénation, et un hôtel.
D’ailleurs, il est bien dit dans l’étude du golf de Serre-Ponçon, qu’il n’y a pas de viabilité sans hébergement, ce qui n’est pas prévu pour l’instant. Les élus jurent à grand cri qu’il n’y en aura jamais, soit ils mentent et ils vont faire un hôtel après, soit ils mentent pas et ils vont faire un trou.

Golf de Montgenèvre

Est-ce que tu peux nous présenter les élus qui portent le projet ?

Les élu.e.s qui portent vraiment le projet sont pas si nombreux/euses, mais c’est un peu dur à estimer. C’est la mairie des Crots qui a lancé le projet, et la majorité est pour. Les élu.e.s municipaux, depuis la réforme de 2016 de Hollande, sont devenus, s’iels veulent avoir leurs subventions, des sous-traitants des communautés de commune, iels ne peuvent pas rentrer en opposition avec, on va dire l’autorité centrale, de la comcom.
Les élus qui sont contre ne le disent pas. Il y a quand même un petit collectif très minoritaire qui s’est monté, mais s’il y a un vote, il y aura une majorité sans problème. Il y a une vision politique, beaucoup d’élus pensent qu’un golf ça fera un atout pour le coin. Ils ont une vision de développement, il faut développer l’activité touristique après le ski.
Normalement le golf devrait attirer entre 300 et 500 personnes qui payeront plusieurs centaines d’euros par an d’abonnement au golf et feront tourner les entreprises de restauration et d’hébergement. Pour les promoteurs du golf, face au réchauffement climatique, il faut s’adapter, les touristes feront moins de ski et plus de golf. Nous on pense que c’est un peu court comme analyse. Si le problème du réchauffement climatique, c’était de passer du ski au golf, on serait tranquille. En fait, iels voient pas vraiment le problème. Les promoteurs du projet, c’est des personnes à la retraite qui ont une vision très 20e siècle d’un développement touristique sans fin. Pour eux, il faudrait faire un petit îlot touristique, leur modèle c’est Courchevel. Le but, c’est de monter en gamme comme iels disent, faire du tourisme de haute qualité, c’est-à-dire des gens riches qui dépensent beaucoup d’argent, et le golfeur est censé dépenser beaucoup d’argent.
Ce qu’iels semblent oublier c’est qu’il y a déjà un golf 18 trous à Montgenèvre, il y en a un à Barcelonnette et un autre à Gap, donc ça fait déjà 3 bel équipement dans le département.

Comment le projet est il porté ? Y aura-t-il un financement municipal, départemental, régional ?

C’est le maire du village des Crots qui portent le projet, mais il est soutenu par la présidente de la comcom, Mme Eymeoud qui est deuxième vice-présidente de la région PACA et qui a les moyens d’attirer des fonds. C’est la région qui va payer. Cela donne l’impression que du moment que c’est l’argent de l’état, de la région, c’est pas leur argent, alors que pour nous à partir que c’est de l’argent public, qu’il vienne de l’Europe ou autre, ça reste notre argent. Nous ce qu’on dénonce, en plus que de raser, de privatiser cette zone, c’est surtout qu’il va y avoir 4 millions d’euros gaspillés alors qu’il y a plein d’urgence à traiter.

Est-ce que tu peux nous présenter les différentes oppositions à ce projet ?

Il y a un collectif d’élu.e.s qui s’est fédéré sur cette opposition au golf. Même si le groupe existait avant, il prend la lutte contre le golf pour se lancer dans une opposition sous le nom du collectif Sens pour Embrun. C’est une forme d’organisation qui n’existait pas à la comcom et qui a fait une belle vidéo. Cette vidéo résume le projet et les élus réclament un débat démocratique. Pour le collectif, c’est presque plus la méthode qui est en cause, il demande un référendum. Si les gens sont pour, le collectif votera pour et si les gens sont contre il votera contre, mais iels demandent une transparence d’information qu’on a pas ainsi qu’un vote populaire. Face à eux, la présidente de la communauté de commune souhaite rester sur un vote des élu.e.s parce qu’ils sont représentatifs, et ils vont forcément voter pour le projet.

La seconde opposition, c’est le collectif Non au golf de Serre-Ponçon qui est issu des Soulevements de la terre et de ces grands projets inutiles. Dans le collectif, on propose de réorienter l’emploie des 4 millions d’euros. Par exemple, on a beaucoup besoin d’installation paysanne, en 5 ans, la moitié des paysans partent à la retraite, il y a un vrai problème d’installation et de foncier dans les Hautes-Alpes. Il y a aussi un problème d’isolation des bâtiments, on pourrait créer une conserverie. L’hôpital est à refaire aussi, on lui reproche 2 millions d’euros de déficit, de dettes cumulées. On est dans la situation où il y a des fuites dans toit de la baraque, t’as le chauffage à refaire, t’as la voiture à changer et la première chose qu’est faite, c’est une piscine ! C’est un gaspillage.
Je pense que plus on retardera ce projet, plus ça va devenir compliqué pour les élu.e.s. Je pense que dans pas longtemps, la bataille de l’opinion peut être gagner, c’est pour ça qu’on appuie la proposition de Sens pour embrun de faire un référendum. C’est aussi aux habitants de savoir comment on emploie l’argent public.

La guerre du golf

En termes d’action, on a réalisé un site internet, 2 manifestations, on en a parlé, distribuer des tracts. Le 1er objectif était de dire que ce projet existe au lieu de dire que c’est une étude. Maintenant on lance un appel à contre-projet pour les 4 millions d’euros, c’est sur le site internet, on peut déposer son projet. Nous on est plutôt partisan qu’on la laisse cette zone tranquille, mais 4 millions d’euros… Pour le collectif, si on nous propose un golf ailleurs à ce prix-là, on sera toujours contre. On va aussi lancer une tournée d’information dans les villages pour discuter et débattre avec les habitants. On aimerait faire une grande action en 2022. Nous ce qu’on essaie de dire aux élus, c’est que ce golf, s’ils arrivent à le faire, il sera célèbre, on aura fait la pub avant.

Notes :

[1un résumé par le collectif non au golf de Serre-Ponçon

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