SMOKING GUNS - Comment les exportations d’armes européennes forcent des millions de personnes à quitter leurs foyers

Traduction du rapport TNI relatant le lien entre le commerce des armes Européennes et les déplacements/migrations forcé-es, (N. N. Bhriain, A. Fotiadis et enquêteurs OSINT)

Voici un bref résumé du rapport (le fichier complet, traduit ainsi que l’original sont à la fin de l’article) :

Tout d’abord une petite video :

Traduction de la video : "Le commerce des armes européennes provoque des déplacements forcés et migrations. Dans ce commerce très lucratif, les entreprises d’armement en profitent deux fois. Premièrement en exportant des armes qui provoquent des déplacements, puis en militarisant les routes migratoires Nous avons tracé des armes européennes spécifiques jusqu’à Afrin, au nord de la syrie, Mosul et Ramadi, Irak, Naghorno-Karabakh, un territoire disputé par l’Azerbaïdjan et l’Arménie, le nord Kivu, la République Démocratique du Congo et la Libye. Ces transactions d’armes ont contribué au déplacement d’au moins 1,1 million de personnes. Si l’Europe prenait au sérieux la gestion des migrations, ne devrait-elle pas cesser d’alimenter les conflits armés ? Lisez notre publication pour en savoir plus sur le rôle de l’Europe dans les déplacements forcés "



Cette brochure a l’intérêt de se familiariser avec une partie du lexique employé pour parler de ce commerce : l’armement.

Ils tirent le constat que :

  • les armes européennes ont contribué au déplacement forcé d’au moins 1,1 million de personnes en République du Congo, en Irak, en Syrie, au Haut-Karabakh et en Libye.
  • le commerce des armes est politique, c’est à dire que tant que les états membres de l’UE ne prendront pas des mesures visant à contrôler ce commerce des armes, tant qu’elle ne reconnaîtra pas non plus que ces déplacements forcés/migration sont également provoqués par ce même commerce, l’Europe n’aura toujours comme seule réponse la militarisation croissante de ses frontières, accompagnée d’une politique de l’asile scandaleuse, ainsi que d’une assistance des personnes en détresse en mer désastreuse, voir on peut plutôt le dire, criminelle.

➡Les nombreux appels à assistance d’Alarm Phone aux autorités responsables du secours en mer suivant la zone SAR (Search And rescue) où se trouvent les embarcations, nous ont montré à de nombreuses reprises que laisser mourir ces personnes migrantes en mer est tristement devenue la norme.
➡En juillet 2021, par exemple, le taux de refoulement du gouvernement grec était de 89,8 %. Près de neuf personnes sur dix tentant d’exercer leurs droits en tant qu’êtres humains se sont vu refuser ce droit par le gouvernement grec
➡Une fausse Idée reçue : "Pour empêcher les migrations, il faut fermer les frontières"
Les politiques sécuritaires n’arrêtent pas les migrations mais les rendent de plus en plus dangereuses : plus de 40 000 morts aux frontières depuis les années 2000.

Bien que de nombreux facteurs, telle la revendication de la liberté de circuler librement, ou qu’ils soient politiques, économiques ou historiques conduisant à des déplacements forcés, le nombre de plus en plus élevé de personnes obligées à quitter leur foyer est étroitement lié à l’accroissement du commerce des armes. Ce commerce provoque non seulement des déplacements forcés massifs, mais tire profit également des contrats pour militariser les frontières et repousser ceux qui fuient les armes de ces mêmes industries.

Les déplacements de masse sont provoqués par un modèle économique qui tire un profit considérable de ces ventes d’armes, et en tire doublement profit en remportant des contrats pour militariser les routes qu’empruntent les migrant-es et les frontières qu’ils-elles traversent. (voir aussi L’Europe au pied des murs, film de Nicolas Dupuis et Elsa Putelat, https://vimeo.com/309351918)

L’Europe au pied des murs, un film de Nicolas Dupuis et Elsa Putelat

La guerre contre les migrants devient de plus en plus rentable, et le marché de la sécurité est en pleine croissance, il devrait valoir 65 à 68 milliards de dollars d’ici 2025. Cette croissance du marché de la sécurité va de paire avec l’augmentation du commerce des armes. Malgré les risques et la répression qu’ils rencontrent en tentant de franchir les frontières de l’Europe, les "migrants" fuient les guerres et la misère, pendant que la convention de Schengen restreint la délivrance des visas et construit un rideau sécuritaire aux frontières de l’Europe.

L’Union européenne et ses états membres figurent parmi les principaux investisseurs et exportateurs d’équipements et de services militaires s’élevant à environ 26% du total des exportations sur la période 2015-2019, faisant de l’UE le deuxième plus grand fournisseur d’armement du monde après les États-Unis. Le problème avec ce commerce qui n’est pas anodin, est qu’il n’y a pratiquement aucun contrôle. Sur le dos de ce commerce lucratif, ce sont les populations locales qui en font les frais. (TNI)

Ce rapport a le mérite d’établir le lien entre ce commerce d’armes et les déplacements forcés, un lien rarement exploré et documenté, alors que les dépenses mondiales en armements sont estimées à près de 2000 milliards de dollars (US$2 trillion), et 35 milliards d’euros (€35 billion),pour les exportations d’armes de l’Europe vers les pays d’Afrique du Nord et L’Asie de l’Ouest, dont 14 milliards d’euros (€14 billion) de ventes d’armes françaises seules.(TNI)

Dans une résolution publiée le 14 novembre 2018 concernant la position commune sur le commerce des armes, le Parlement européen a déclaré qu’il était :
« ... choqué par la quantité d’armes et de munitions de fabrication européenne trouvées dans les mains de Daech en Syrie et en Irak ; constate l’échec de la Bulgarie et de la Roumanie à appliquer la position commune en ce qui concerne les re-transferts qui contreviennent au certificat d’utilisateur final (End-User Certificates, en anglais (EUC))... »

Cette étude de TNI montre que le commerce européen des armes n’est pas seulement un outil qui pousse des populations à migrer de façon massive, mais que ces mêmes industries sont également impliquées dans le processus de « refoulement » dits communément "Pushbacks" des migrants pour les éloigner de l’Europe, en reconduisant jusqu’à récemment le financement/équipement/formation par l’Italie des soit-disant gardes côtes libyens, dont le savoir-faire en terme de sauvetage humain n’a plus rien à nous cacher.

L’ATT, (The Arms Trade Treaty), ou TCA, (Traité sur le Commerce des Armes), entré en vigueur le 24 décembre 2014 ne peut être vu comme un mécanisme pour contenir le commerce des armes mais plutôt pour le faciliter et le légitimer. C’est assez révélateur, comme le dit TNI par exemple, que l’Association des industries aérospatiales et de défense de l’Europe (ASD) l’ai adopté.

Selon la Radio télévision suisse, dixit Wikipédia, il paraît que ce traité est « le premier texte majeur sur le désarmement » depuis le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Tiens donc ?

On voit bien, en lisant le rapport de TNI, que ces mécanismes ou traités de réglementation du commerce des armes ne sont pas suffisants et inadaptés, n’ont à ce jour pas réussi à établir un cadre réglementaire, adéquate, qui identifie, empêche ou sanctionne les exportations d’armes problématiques, bien au contraire.

D’autres recherches précédentes de TNI ont documenté également comment les politiques d’externalisation de l’Union Européenne financent activement :

  • la détention des migrant-es,
  • la militarisation des routes migratoires, (sachant que ces murs ne sont jamais efficace à 100%, parce que ce marché juteux doit sans cesse se renouveler),
  • la déportation vers des pays tiers dangereux ou vers leur pays d’origine, pour celles-ceux qui arrivent à mettre un pied en Europe.

Les recommandations suivantes de TNI doivent être considérées comme faisant partie d’un processus plus large de changement politique :

  • Abolir la Facilité européenne pour la paix, un fonds hors budget, conçu spécifiquement dans le but de contourner les réglementations de l’UE sur le financement des activités et de l’engagement militaires.
  • Créer un mécanisme de responsabilisation indépendant chargé de suivre et de sanctionner les États membres de l’UE qui font des exportations d’armes problématiques.
  • Créer un groupe de travail au niveau européen, composé de conseillers politiques de l’UE et d’experts de la société civile travaillant dans les domaines du commerce et des exportations d’armes, de l’asile et des migrations, et de la défense, avec en vue de démontrer les liens incontournables entre le commerce des armes, les déplacements forcés et les migrations massives. Le groupe de travail publierait des rapports réguliers, traiterait et répondrait au Parlement européen et au Conseil européen. Il élaborerait des recommandations claires sur comment endiguer le flux d’armes vers des pays tiers actuellement ou potentiellement problématiques.
  • Travailler avec des experts en données et des analystes pour créer un cadre qui permet que des données sur le commerce des armes et sur les déplacements forcés soient rassemblés dans un format uniforme et structuré. Les efforts devraient se concentrer sur la collecte des données manquantes, la combinaison des types de données existantes, la création d’un système inter-opérable qui comprendrait des contrôles avant et après exportation, et comprendrait également des informations sur l’utilisation abusive des armements, des services et de la technologie.
  • Garantir l’implication d’experts indépendants dans la réalisation des revues post-expédition et dans le cadre plus large de la surveillance et du contrôle des armements. Dans cet esprit, encourager l’utilisation d’experts en recherche de Conflit d’armement qui, en vertu de la décision 2019/2191/PESC du Conseil, peuvent soutenir ou fournir de telles assistances. Créer un cadre dans lequel les experts OSINT peuvent partager et échanger des connaissances sur des méthodes de vérification open source avec les États membres de l’UE et les experts nationaux du contrôle des exportations, pour réfléchir sur la manière dont ces nouveaux outils peuvent être intégrés dans les évaluations des risques existantes et les contrôles post-exportation.
  • Les profits massifs générés par l’industrie de la sécurité des frontières englobent profondément les autorisations d’armes et l’industrie de l’exportation. La réglementation existante sur le commerce des armes est profondément imparfaite, très controversée, et manque de mécanismes adéquats de suivi, d’application et de responsabilisation. En tant que tel, il sert à faciliter, plutôt que d’empêcher les transactions d’armes problématiques. L’Europe crée des réfugiés par son commerce d’armes. Si l’UE et ses États membres veulent véritablement faire face à ce qu’ils perçoivent comme une « crise migratoire », ils doivent freiner les exportations d’armes, améliorer les mécanismes de responsabilisation et mettre fin aux efforts de lobbying débridés des entreprises d’armement dans les couloirs du pouvoir à Bruxelles et dans d’autres capitales européennes. L’Europe doit cesser de placer l’intérêt de l’économie au-dessus des besoins humains. Elle doit réévaluer sa compréhension de la migration et reconnaître que les armes européennes provoquent des déplacements forcés et des migrations.

Le site de la brochure :
https://www.tni.org/en/publication/smoking-guns [Anglais, Birman, Espagnol]

Un site référençant les rapportes de TNI et d’autres, qui milite pour les droits des personnes et des communautés en mouvement, fruit de la rencontre et de la synergie de plusieurs défenseurs des Droits de l’Homme sur différents territoires de la frontière occidentale-Euroafricaine. Un site où l’on peut trouver d’autres rapports également.
https://caminandofronteras.org/fr/media-fr/ [Espagnol, Français, Anglais, arabe]

Asbl Belge antimilitariste qui travaille sur le commerce de l’armement, les armes nucléaires et la militarisation de la societé.
https://agirpourlapaix.be/ [Français]

Plate-forme madrilène de la société civile organisée qui cherche à promouvoir la paix et à lutter contre les seigneurs de la guerre.
https://desarmamadrid.wordpress.com/ [Espagnol]

Sur la militarisation globale des frontières Européennes
https://abolishfrontex.org/ [Multilingue]

Plusieurs articles sur le sujet avec Migreurop
http://migreurop.org/article2913.html [Français]
http://migreurop.org/article2576.html [Français]
http://migreurop.org/IMG/pdf/revue_de_presse_du_15_au_30_novembre.pdf [Français]

Recherches sur les transferts d’armements (pays acquéreurs d’armes françaises, types de matériels vendus, montants des contrats)
http://www.obsarm.org/ [Français]
http://obsarm.org/main/obsarm_cdrpc.htm [Français]

Un lien vers un docu sorti récemment sur Moria de "Moria, par delà l’enfer"
https://www.youtube.com/watch?v=QDWTA3yUn5I [English, French, German, Italian, Spanish, Polish]

Sur le Nouveau Pacte Migratoire : Organisations et communautés de migrant-es et de réfugié-es, qui travaillent pour la transition d’une approche de la frontière “forteresse” vers un régime juste international des droits de l’homme pour tous.
https://transnationalmigrantplatform.net/fr/page-daccueil/ [English, French, Italian, Portugese]

Caravane dans les Balkans :
Initiatives contre l’externalisation des frontières et le refinancement des garde-côtes libyens.
Frontière croato-bosniaque.
https://www.meltingpot.org/Balkanroute-calling-caravane-pour-la-liberte-de-mouvement.html [English, French, Spanish]

Caravane aux îles canaries :
350 personnes, dont 70% de femmes, parti de la péninsule, des îles Baléares et d’Italie entre le 17 et le 24 juillet dans le cadre de la 6ème édition de la Caravane d’Ouverture des Frontières, une caravane qui depuis 2016 parcourt différents espaces frontaliers. Comme lors d’occasions précédentes, il est proposé de dénoncer la violation des droits de l’homme, les causes des déplacements forcés et d’exiger d’autres politiques migratoires, commerciales et internationales.
https://abriendofronteras.net/2021/07/11/caravanacanarias2021-nos-ponemos-en-marcha/ [Espagnol]

"En finir avec les idées fausses sur les migrations"
États Généraux des Migrations
http://www.gisti.org/spip.php?article6566

Frontière 66, Nicolas Dupuis
"Depuis les accords de Schengen, la frontière n’existe plus, sauf pour toute personne avec un faciès d’étranger, elle devient porteuse de cette frontière. Les contrôles ne se font plus sur la ligne frontalière, mais dans une bande de 20 km, la frontière s’est élargie et a été daplacée dans les gares, les péages d’autoroutes,..."
https://vimeo.com/273335174

...
Bonne lecture et bon visionnage.

PS :

Le rapport complet et traduit en PDF :

Rapport Smocking Guns FR

Le rapport original :

Smocking Guns Report EN

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