[Violences domestiques et genrées 6/6] Pistes pour agir face à des situations de violences interpersonnelles : Soutenir la personne cible de ces violences. Accompagner la personne auteure de ces violences

Pour finir cette suite de textes, nous aurons un guide pratique sur la gestion une fois que l’agression est faite. Ce texte est très complet et est un extrait de la brochure "jour après jour". Il aborde l’accompagnement de la personne cible des violences comme celle de la personne auteur. Il ne permet pas d’avoir une solution à tous les problèmes mais le protocole proposé est suffisamment ouvert pour que les personnes intéressées puissent s’appuyer la dessus le jour où, malheureusement, elles en auront besoin.

Quelques préalables sur la justice et la psychiatrie

Voici quelques pistes pour agir, lorsque les violences d’une personne sur une autre ont été dénoncées et que celle qui les a subies souhaite une prise en charge selon des valeurs anti-autoritaires et féministes plutôt que par la justice et/ou le corps médical/psy.

La question n’est pas ici de juger ou d’exclure d’une telle démarche les personnes qui feraient le choix de solliciter les institutions, mais de voir ce que nous pouvons faire hors de ce cadre. Il est clair que dans de nombreuses situations, des personnes se tournent vers les flics, les juges ou les médecins, parce qu’elles sont isolées, en manque de soutien, de ressources, de compétences, de lieu où se poser, parce qu’elles ne trouvent pas d’autres issues, qu’elles pètent les plombs, qu’elles y sont poussées par certain·e·s de leurs proches, « ont besoin que quelque chose soit fait, vite », etc. Et dans toutes ces situations de souffrance, ça peut être mieux que rien, ça peut être suffisant, ça peut être salvateur. Ça peut malheureusement aussi être destructeur.

La démarche que nous développons ci-dessous pourrait être, nous l’espérons, un outil pour agir plus tôt, en amont, en se faisant du bien, en cherchant des pistes de résolution. Pour contribuer à saper nos réflexes punitifs et normatifs, pour nous sentir responsables ensemble sans fabriquer de culpabilisation et de victimisation contre-productive.

Par ailleurs, il est souvent tabou de parler des choses en termes « psycho » dans les milieux militants radicaux qui voient la psychiatrie, la psychanalyse et même les psychothérapies en général, comme des outils de dépolitisation et d’individualisation des problèmes, infligeant des violences institutionnelles. Pourtant, il nous semble impossible d’aborder la question des violences sans parler de traumatisme au sens psychologique, avec les conséquences qu’on peut observer, comme la reproduction de schémas, les phases de dissociation, les mémoires traumatiques, les syndromes de stress post-traumatiques ou les liens entre certaines violences vécues enfants et nos pétages de plombs d’adultes. Ignorer ces aspects, ce serait sans aucun doute se priver d’outils vraiment efficaces pour améliorer la confiance en soi et dépasser des mécanismes qui nous tiennent dans le piège de la violence et de sa répétition.

Sur tous ces aspects, nous nous sentons vraiment pauvres en ressources, autant pour nous réapproprier des outils et des conceptions, que pour les critiquer, les améliorer, les dépasser. Ce travail reste à faire pour affiner encore les pistes que nous proposons ci-dessous…
Point de départ

Nous partirons ici uniquement de situations où il n’y a pas de doute sur qui est la personne cible des violences/de l’agression et qui est la personne auteure de ces violences. Afin de simplifier la lecture, nous appelons « Cib » la personne cible et « Aut » la personne auteure.

Nous présentons dans un même document des pistes pour soutenir Cib (cible) et accompagner Aut (auteur·e), mais nous tenons à rappeler que ces deux démarches sont des processus bien différents et séparés en termes d’enjeux, d’objectifs et de temporalité. Par exemple, ce n’est pas parce qu’Aut, après avoir sérieusement travaillé sur ses comportements, aurait envie de demander pardon à Cib, que cela aurait forcément du sens dans le processus de reconstruction de Cib. Au contraire, Cib peut très bien avoir besoin de ne plus avoir aucun contact avec Aut. Chaque processus de soutien ou d’accompagnement doit se faire de façon adaptée à la personne, qui le fait pour elle-même, à un rythme qui lui est propre. Il nous semble périlleux et même, la plupart du temps, dommageable de forcer les deux processus à coïncider.

Bien évidemment, nous rappelons que nous ne proposons pas ici de recette miracle applicable à la lettre. Cette brochure, et tout particulièrement ce texte, proviennent de l’envie de partager un travail collectif de réflexion, de rassembler dans un document des choses tentées (ou pas…) dans différents contextes par différentes personnes. C’est l’envie d’apporter notre pierre à l’édifice pour ne pas repartir de zéro à chaque fois… Enfin, c’est l’envie de transmettre notre expérience pour être à l’avenir de plus en plus nombreux·ses à s’impliquer quand des violences surviennent autour de nous. En effet, il semble indispensable que davantage de personnes agissent face à ces violences entre proches et donc qu’elles se préparent à le faire en s’outillant.

Que ce soit pour soutenir les personnes cibles des violences ou pour accompagner les auteur·e·s, nous trouvons très précieuse l’approche des rapports structurels de domination et, en particulier, ceux qui sont en jeu entre les personnes impliquées. Nous croyons utile d’avoir une bonne connaissance (ou de faire en sorte de s’informer) sur les mécanismes à l’origine des violences entre proches, notamment les questions de rapports de pouvoirs et de domination. À la fin de cette brochure, nous proposons un certain nombre de liens vers des textes et des émissions radio que nous vous conseillons vivement !

1. En amont, prévention, comment être tou·te·s plus impliqué·e·s et concerné·e·s par ces questions

Au fil de nos réflexions, nous nous sommes beaucoup appuyé·e·s sur la notion de communauté, qui existe de fait, mais est rarement nommée en tant que telle autour de nous.

En tant que féministes, lorsque nous thématisons les violences et les violences sexuelles, nous insistons toujours sur le fait que la plus grande partie des agressions sont commises par des proches, et dans le cadre familial, conjugal, amical ou professionnel (pour rappel, 83 % des « agresseurs » étaient connus de leur « victime », en France en 2012, selon les statistiques de l’Insee). La dimension communautaire nous paraît évidente, lorsque nous contestons les fausses évidences sur ces « agresseurs inconnus surgissant au détour d’une rue à la nuit tombée », pour plutôt pointer les agissements des proches : ces comportements nous concernent de près, comment changer les choses sans transformer ce qui constitue nos liens, nos responsabilités et nos cultures communes ?

Nous partons du constat que nous nous sentons appartenir à une communauté : communauté d’intérêts et d’identités ; communauté faite de l’imbrication de nos histoires familiales, culturelles, économiques et politiques. Ces appartenances, subies ou choisies, forgent une part conséquente de nos attachements et de nos destinées collectives. L’aspect communautaire est d’autant plus important à nos yeux qu’il nous rassemble en tant que personnes minorisées, dans notre cas en tant que meufs, gouines, trans’, anarchistes et féministes. Pour chacune d’entre nous, il est quasi-vital d’accéder aux idées et aux pratiques qui se développent dans ces cercles, d’y trouver des ami·e·s, des soutiens, des complices, des pairs, etc. C’est le plus souvent ce qui nous permet de survivre et de vivre, avec ce que nous sommes et ce que nous portons.

C’est le fait de penser les choses en termes communautaires qui nous a conduit à envisager, pour une agression donnée, l’ensemble des personnes impliquées et à distinguer trois positions : la personne cible de l’agression, la personne auteure et les personnes autour, soit, en fait, toute la communauté. Depuis des années, nous nous concentrons sur ce qui peut être mis en place avec les personnes cibles de violences et, principalement, avec des femmes en contexte hétérosexuel. Nous nous mobilisons pour les soutenir individuellement, pour réfléchir collectivement à notre pratique de soutien, ou encore pour développer l’autodéfense féministe. Ces choix de priorité s’expliquent d’abord par le nombre et l’urgence des souffrances et des détresses de ces personnes. La seconde raison, plus politique, est la volonté de prioriser les personnes subissant la domination plutôt que celles qui l’exercent : les personnes vivant des agressions sont le plus souvent isolées, contestées et même exclues pour avoir dénoncé des violences qu’elles subissent ou bien elles s’auto-excluent pour ne pas l’avoir fait pour diverses raisons. Nous défendons plus que jamais cette priorisation de nos attentions. Cependant, nous impliquer en parallèle dans le suivi des auteur·e·s de violences ainsi que vis-à-vis de tout l’entourage, est pour nous complémentaire pour continuer à changer les choses à la racine. Et en disant cela, nous ne voulons ni délaisser les personnes cibles, ni encourager les pugilats, les rumeurs et tout ce qui fait les emportements collectifs dévastateurs. Au contraire, nous voulons œuvrer à une culture commune qui réduise les violences et prenne soin de chacun·e. C’est avec ce parti-pris que nous voulons faire de ces violences l’affaire de tout·e·s et que nous proposons de travailler * aussi* sur notre propre potentiel à commettre des agressions et sur nos stratégies pour pratiquer le consentement.

Ajoutons pour finir que nous avons trouvé la force et les ressources pour creuser ces aspects pendant ces quatre années, parce que nous ressentions plus de maturité collective sur ces sujets, en analyse comme en pratique et, surtout, parce que nous avons pu trouver un cadre de confiance pour y travailler : nous sommes tout·e·s féministes et anti-autoritaires, donc avec des bases politiques communes.

2. Dénonciation d’une situation

Une situation d’agression / de violence interpersonnelle peut être connue parce que nommée :

Par Cib, la personne qui a été agressée / a subi les violences
qui dit simplement ce qui s’est passé
OU qui dit ce qui s’est passé et demande de l’aide
OU qui dit ce qui s’est passé et formule des demandes plus précises (de médiation, de suivi de cellui qui l’a agressé·e, d’éloignement de cellui qui l’a agressé·e).

Par Aut, la personne auteur·e des violences / de l’agression
qui réalise ce qu’iel a fait seul·e
OU par la discussion avec cellui qu’iel a agressé·e
OU avec un tiers,
ET volontairement OU par la pression,
ET qui demande de l’aide OU pas.

Par une personne tierce

qui a été témoin
ET / OU qui a parlé avec les protagonistes.

Pour commencer, il est important lorsqu’on reçoit des informations dénonçant une situation de violences ou d’agression de se tourner vers la personne cible des violences, afin de vérifier qu’elle ne les subit plus et de saisir ce qu’elle veut ou du moins ce qu’elle est prête ou n’est pas prête à vivre.

Si les violences persistent, protéger la vie de Cib est une priorité, mais cela ne peut se faire sans son avis et son accord. Il y a le risque de perdre le contact avec elle si les solutions trouvées ne sont pas réalistes. On peut proposer à Cib de tenter de faire partir Aut du lieu où iel exerce les violences. Si cela ne fonctionne pas ou ne permet pas à Cib de se sentir en sécurité, on peut lui proposer de l’aider à partir et à trouver un lieu où iel se sente bien. Il se peut qu’il n’y ait rien que l’on puisse faire pour assurer dans l’immédiat la sécurité ou le bien-être physique et mental de Cib. Dans ce cas, il est important de continuer à se positionner en soutien de Cib et de l’encourager à trouver un endroit sûr.

3. Soutenir la personne cible des violences

Un travail important a déjà été réalisé par d’autres groupes/personnes sur ce sujet que ce soit par le biais de textes collectifs ou de récits personnels. N’hésitez pas à aller voir les références proposées à la fin de cette brochure. Sur les questions de l’écoute, du soutien et des postures que le rôle de soutien implique, nous vous conseillons fortement la lecture de Soutenir un.e survivant.e d’agression sexuelle dont nous nous sommes largement inspiré·e·s pour rédiger cette partie.

Nous avons abordé de manière thématique les choses qui nous semblent importantes dans des situations de soutien. Un certain nombre de ces points peuvent constituer des étapes/phases. Nous n’avons pas souhaité les ranger selon un ordre particulier car cela peut être très différent selon les situations. Cependant il nous semble assez utile de définir un processus avec une succession d’étapes qui soient pensées à plusieurs. Cela peut se faire entre Cib et la ou les personnes en soutien (que nous proposons d’appeler par la suite « Sou ») ; si Cib n’est pas en mesure de réfléchir à ces étapes à ce moment-là, cette réflexion peut se faire entre personnes soutien (si iels sont plusieurs) ou avec une/des personnes de confiance autour. S’accorder sur des étapes permet de se fixer des objectifs et de clôturer des phases de « travail », de voir le chemin déjà parcouru, de baliser un parcours qui doit tendre vers un aller-mieux et une reprise d’autonomie de Cib.

L’écoute

Pour Cib, la personne cible des violences

Quand on a subi une agression/de la violence de la part de quelqu’un·e d’autre, on a souvent besoin de pouvoir vider son sac, de dire tout ce qui nous passe par la tête en se sentant écouté·e, cru·e par la personne à qui on se confie et non pas jugé·e dans la manière dont on va exprimer nos ressentis (parce qu’on n’utiliserait pas le « politiquement correct », parce qu’on serait confus·e, etc.)

On a souvent des hauts et des bas, des moments où on se sent en colère et/ou super fort·e·s, d’autres où on se sent juste mal. On peut ressentir de la honte ou de la culpabilité de ne pas avoir su réagir « comme il faut ». Ça peut faire du bien d’entendre « ce n’est pas toi qui est responsable » (même si des fois on le sait déjà) plutôt que « tu ne devrais pas dire ça ».

On peut avoir besoin de réconfort, que quelqu’un·e nous prenne dans ses bras, ou bien pas du tout, ou bien ça dépend des moments. C’est pas toujours facile pour les autres de le capter et souvent pas possible soi-même de l’exprimer.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Quand on soutient une personne qui a subi une agression, des violences, une des premières choses importantes à faire c’est de l’écouter sans canaliser sa parole, de lui laisser la place d’aller au bout de ce qu’iel a à dire. Accueillir ses propos. Ne pas chercher à relativiser la manière dont ont été vécus les faits… Croire à ce qu’iel a vécu et ressenti.

Si on parle beaucoup pendant ces discussions avec Cib, il y a de fortes chances qu’on dise des choses qui ne vont pas aider. Parfois, en gardant le silence, on évite d’ajouter à la conversation des éléments qui n’y ont pas leur place.

Prendre l’autre dans les bras n’est pas forcément approprié, être proche physiquement n’aide pas nécessairement. C’est important de ne pas le présupposer, donc de demander et de se laisser guider.

L’écoute active

Pour Cib, la personne cible des violences

Quand on a vécu des violences, parfois on se sent juste « mal » sans savoir exactement ce qu’on ressent. Pourtant, identifier plus précisément ces sensations peut redonner prise sur ce qui arrive. Par exemple, comprendre qu’à certains moments on se sent « mal » parce qu’on culpabilise de ce qui s’est passé peut permettre de comprendre d’où vient ce sentiment de culpabilité et de lui tordre le cou… peut-être pas une bonne fois pour toutes, mais ça devient ensuite plus simple de l’identifier dès qu’il repointe son nez. Des fois, on arrive à faire seul·e ce processus qui permet de comprendre les « quoi », « pourquoi », « comment », et à d’autres moments c’est le brouillard complet. C’est pour cela qu’il est parfois précieux que quelqu’un·e nous aide à gratter, identifier, nommer, décortiquer tous les « je me sens mal » non-identifiés.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Quand on a un rôle d’écoutant·e, ce qu’on appelle l’écoute active, c’est chercher à accompagner dans la verbalisation et la précision d’une pensée. Il est possible qu’il soit difficile pour Cib de s’exprimer, que cela prenne du temps. Il faut faire avec. Poser des questions reste la meilleure manière d’aider quelqu’un·e à creuser/préciser une idée. C’est possible aussi de proposer des reformulations en veillant toujours à laisser de la place et du temps pour qu’iel puisse décider si cela lui parle, si ça correspond à ce qu’iel a cherché à exprimer. Proposer plusieurs reformulations plutôt qu’une, afin d’offrir du choix dans la manière dont iel pourra se les réapproprier.

Il est important d’observer si on ne prend pas trop de place dans la discussion, de laisser de la place aux silences.

Les silences

Pour Cib, la personne cible des violences

Les silences sont parfois vécus dans les conversations entre deux personnes comme des moments de gêne, mais ils sont parfois nécessaires pour digérer une émotion, pour réfléchir à quelque chose qu’on vient de dire ou qu’on voudrait dire. Ça peut permettre notamment d’exprimer une limite ou de faire des remarques à la personne qui nous écoute quand on a le sentiment qu’iel nous embarque sur des sujets qu’on ne veut pas aborder ou qu’iel a dit quelque chose qui ne nous convient pas.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Les moments de silence dans une conversation, lorsqu’on est à la place de cellui qui écoute, peuvent permettre de prendre du recul, de se demander si on n’est pas en train de plaquer ses propres émotions sur ce que Cib exprime. C’est important d’être dans l’empathie mais on n’a pas à s’identifier à Cib, à penser ou dire à la place de l’autre. Il est bien sûr possible qu’on se « reconnaisse » dans des situations, des émotions qui sont dites, mais ce n’est pas parce qu’une chose a marché pour soi qu’elle peut être généralisée.

Ça peut être bien de lire des récits d’expériences (de personnes qui ont vécu des agressions ou de personnes qui racontent des expériences de prise en charge). Ce n’est peut-être pas le moment pour Cib d’avoir de telles lectures mais, en tant que personne qui l’écoute et la soutient, ça permet d’envisager différentes manières de réagir.

Lâcher-prise, prendre en charge et prendre soin de soi

Pour Cib, la personne cible des violences

Lorsqu’on a subi un choc, qu’on est submergé·e par des émotions contradictoires et paniquantes, que les violences qu’on a subies se compliquent d’enjeux relationnels et des réactions de l’entourage, il est tout à fait compréhensible qu’on ait du mal à faire face à tout. Il est alors important de se rappeler que même les super-héro·ïne·s ont des coups de mou, des grosses fatigues et des burn out. On a tou·te·s besoin de soutien par moment. Accepter de lâcher-prise pour une certaine période peut nous aider à libérer de l’espace mental pour reconstituer ses forces. On peut s’autoriser à trier et à fuir certaines situations, à demander à Sou (qui nous soutient) de prendre des décisions à notre place pour un temps donné et sur certains sujets, à demander à d’autres personnes plus ou moins proches des coups de mains matériels (embarquer notre linge avec le leur quand iels vont à la laverie, passer la tête par la porte pour savoir si on a mangé, nous proposer d’aller faire un tour, ou boire un café, ou voir un concert, ou réparer nos vélos ensemble ; nous aider à faire des papiers…).

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Quand on propose à Cib de l’aider à prendre des décisions, quand on accepte de porter des messages ou de mener des actions pour ellui, il ne s’agit pas de la/le convaincre de s’en remettre à nous intégralement. Mais il est important de la/le rassurer sur le fait qu’iel est normal de ne pas être fort·e tout le temps et sur tout… et qu’iel est fort·e quand même.

Si Cib lâche prise et s’en remet à nous en tant que personne soutien, il est important de l’aider à ne pas en culpabiliser mais qu’iel en profite pour se reposer, se mettre à distance, trouver du répit.

Pour soulager Cib, plein de choses sont possibles et pas seulement en matière de « gestion » vis-à-vis d’Aut, mais de manière très concrète. Cette prise en charge matérielle et quotidienne est souvent invisible. Elle représente pourtant une vraie charge et il est donc aussi possible d’inviter l’entourage, des ami·e·s de confiance à donner des coups de main, à se proposer pour des tâches précises et simples.

En tant que personne soutien, il est également important de poser ses propres limites vis-à-vis de Cib pour qu’iel ne soit pas déçu·e si on ne va pas aussi loin qu’iel le voudrait. L’encourager doucement à élargir son réseau de soutien est une manière d’éviter un épuisement qui serait dans tous les cas préjudiciable à chacun·e et à la relation. Si on estime que Cib n’est pas en capacité d’entendre nos propres limites, ça vaut quand même le coup de les clarifier pour soi-même, afin de savoir dire « stop » au bon moment et de ne pas s’épuiser ni s’enferrer dans une relation de dépendance contre-productive. Cela peut aussi permettre d’anticiper, de trouver du relais, afin que le soutien ne s’arrête pas d’un coup, au moment où on n’en peut vraiment plus, ce qui peut être très déstabilisant pour Cib.

Pour toutes ces raisons, il peut être utile de clarifier sur quels sujets et sur quelle période on accepte de « prendre en charge » des aspects de la vie de Cib, afin de faciliter la mise au point et le passage à d’autres phases.

Reprendre et redonner du pouvoir

Pour Cib, la personne cible des violences

Les agressions, les situations de violences, ce sont des moments où nos limites sont franchement dépassées. Des moments où, soit on n’a pas eu la place de poser nos limites, soit on les a affirmées sans qu’elles soient prises en compte. Ce piétinement de nos limites peut abîmer notre confiance en nous et envers les autres, notre assurance à poser nos limites, à faire des choix, à être entendu·e dans ces choix. C’est donc important que les personnes qui nous soutiennent nous laissent le pouvoir de prendre les décisions, même si iels auraient fait d’autres choix dans une situation similaire. Il est important de prendre nos propres décisions et qu’on n’ait pas le sentiment que ce sont iels qui les prennent pour nous.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Quand on est dans le rôle de soutien, une manière d’aider une personne à prendre des décisions, c’est d’essayer d’expliciter le plus méthodiquement possible les conséquences qu’on peut percevoir dans le fait de faire tel ou tel choix.

On peut aussi visibiliser là où il semblerait qu’il y ait des choix à faire, démêler une situation embrouillée en la découpant en différents points pour en ressortir des éléments plus « digérables », des choix plus simples à faire indépendamment les uns des autres, tout en montrant les liens qu’il y a entre eux.

Identifier des besoins et des demandes

Pour Cib, la personne cible des violences

Pour mettre à distance la violence qu’on a vécue et se dégager de l’emprise que Aut exerce sur nous à travers elle, une étape importante est de clarifier ce dont on a besoin et les demandes qu’on peut formuler, que ce soit à Aut ou à l’entourage. Cette démarche est souvent plus facile quand on est passé·e par les premières étapes de libération de nos émotions et de décorticage de ce qu’on a vécu, sans encore chercher à construire des possibles pour la suite. On peut ensuite tenter de fixer par écrit ces besoins et ces demandes.

Il s’agit d’analyser ce qui s’est passé, les rapports de pouvoir et les réflexes relationnels en jeu, pour imaginer comment modifier des choses à l’avenir afin de se protéger, pour que ça n’arrive pas à nouveau (nommer ses limites, imaginer comment les poser plus fermement, etc.). On peut essayer de clarifier notre rapport à l’éventualité d’une confrontation avec Aut : on peut simplement avoir besoin qu’Aut cesse de tenter de nous contacter ; qu’Aut cesse de venir chez nous, même s’iel est super pote avec nos colocs, qu’Aut s’extraie de tel collectif que nous fréquentons, qu’iel ne remette plus les pieds dans tel lieu, qu’iel déménage. Il peut aussi s’agir d’autres demandes comme la reconnaissance des actes, des excuses, l’envoi d’une lettre ou une rencontre de visu, accompagnée par une/des personnes tiers, qui tiennent un rôle de médiateu·rices ou de simples « témoins », etc.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Pour aider Cib à formuler des demandes claires et réalisables, on peut essayer d’ouvrir plusieurs pistes plutôt qu’une seule, et dans des registres divers : sécuriser des espaces ; ne plus croiser la personne ; dénoncer une situation… On peut lui poser des questions très concrètes et méthodiques, sur la manière dont elle veut que ce qui s’est passé soit exprimé par Aut dans les espaces qu’iels fréquentent en commun ou, au contraire, comment Cib ne voudrait surtout pas qu’Aut en parle. Si Cib préfère prendre la parole ellui-même ou obtenir le soutien de personnes « intermédiaires ».

Se pose ensuite la question de répondre à ces demandes. Pour minimiser les déceptions et les frustrations, il peut être utile de distinguer, d’une part, les besoins sur lesquels Cib a une prise directe, parce que c’est ellui (ou du moins des personnes en qui iel a confiance) qui opère un changement, et d’autre part les demandes qui dépendent de Aut et de son entourage, et sur lesquelles Cib n’a pas une prise directe. Par exemple : Cib peut avoir besoin que quelqu’un·e vienne avec ellui dans des situations précises (ça dépend d’ellui et de personnes proches) ou bien Cib a besoin de savoir si Aut sera à tel endroit avant d’y aller (ça dépendra du fait que Aut et les personnes qui sont proches d’ellui accepte de le dire/le prévoir).

Dans la durée, il peut aussi être utile de faire des mises au point sur la réalisation des demandes, de vérifier qu’elles sont toujours d’actualité, de comprendre si les besoins de Cib et la disponibilité de l’entourage ont changé.

D’une manière plus générale, on peut aussi parler d’objectifs. Il nous semble toujours intéressant de prendre en note les objectifs qu’on se donne, pour pouvoir faire des points réguliers sur le fait qu’on les a réalisés ou non, qu’ils ont changé en cours de route ou non. Cela aidera aussi à entrevoir la fin d’un processus, de pouvoir conclure que les objectifs sont atteints ou abandonnés et qu’on passe à autre chose…

Formaliser le rôle de Sou, personne(s) soutien de la personne cible des violences

Pour Cib, la personne cible des violences

Formaliser le rôle que prend une personne pour nous soutenir ça permet aussi de faire attention à ellui, c’est l’occasion de questionner ensemble ce que ça peut changer dans notre relation (si on était à la base ami·e·s, si on ne se connaissait pas…) et comment on peut prendre soin de cette relation.

C’est aussi garder un certain contrôle sur la situation : ce n’est pas parce que Sou nous soutient qu’on doit tout lui raconter et accepter toutes ses propositions.

Enfin, il peut être vraiment utile de clarifier avec Sou le niveau de confidentialité de ce qu’on lui livre. Cela permet de savoir pour soi-même ce que l’on est prêt·e à raconter ou pas et de consolider la confiance avec Sou en entendant aussi ses limites à ellui.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Il arrive souvent qu’on se « retrouve » dans un rôle de soutien. Même si on ne l’a pas choisi au départ, c’est bien de le formaliser à un moment donné, notamment parce que ça peut redonner du pouvoir à la personne qu’on soutient pour fixer les modalités et les limites de cette relation, expliciter des besoins qu’iel aurait, proposer des manières de faire auxquelles on n’aurait pas pensé. Et bien sûr, ça nous aidera aussi, en tant que personne soutien, à réévaluer ce qu’on est prêt·e à faire.

Il s’agit d’expliciter les limites de disponibilité, de se demander si on se sent disponible à ce moment-là, de trouver des alternatives, par exemple d’identifier d’autres personnes à solliciter, etc.

Formaliser le niveau de confidentialité nécessaire permet que chacun·e se sente en confiance. Cela peut signifier aider Cib à cerner ce qu’iel est d’accord de raconter, mais aussi en tant que personne soutien pouvoir poser ses limites afin de ne pas se sentir coincé·e dans un secret absolu. L’idée est aussi de trouver soi-même de l’écoute auprès d’autre(s) personne(s) pour prendre du recul, exprimer nos difficultés et nos questionnements, évacuer nos propres émotions, ne pas « craquer », etc.

Conclure et aller de l’avant

Pour Cib, la personne cible des violences

Toutes les demandes et les aménagements qu’on tente de mettre en place visent à se dégager de la situation de violence, à panser nos plaies, à obtenir reconnaissance, réparation et à continuer notre vie de la meilleure façon possible. Il est donc souvent important, pour ne pas rester englué·e·s dans la détresse et la panique, de travailler activement à passer des étapes et même à conclure ce qu’il est possible de conclure. Bref, à laisser, autant que possible, certaines choses douloureuses derrière soi. Cela ne signifie pas qu’il est nécessaire de « tout oublier » ou au contraire de « tout se souvenir ». Chacun·e trouve un chemin différent pour digérer la violence qu’iel a vécue.

À plusieurs étapes du processus, une chose importante à faire peut être de clarifier nos intentions derrière nos demandes : Est-ce que je veux mettre ceci ou cela en place pour Aut ou pour moi-même ? Ce qu’Aut fait m’importe-il ou est-ce que je m’en fiche ? Est-ce que telle demande m’est toujours utile ? À travers ces questions, il s’agit, petit à petit, de s’autonomiser par rapport à Aut, de mieux identifier ce dont on a encore besoin et ce qui change.

Ensuite, il s’agit de poursuivre sa vie, avec et malgré ce qu’on a traversé. Tenaillé·e·s entre le « vivre avec » et le « passer à autre chose », on peut décider parfois de classer certains enjeux parce qu’on a le sentiment d’en avoir fait le tour ou d’en être épuisé·e·s. On peut aussi chercher à lister les outils, les petites stratégies du quotidien, pour mieux faire face à des moments de crise, de résurgence du traumatisme ou de la colère, canaliser nos émotions, trouver les moyens d’agir et de se protéger.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Que ce soit le passage d’une étape importante, ou la fin d’un travail commun, on peut proposer à Cib de formaliser ce moment. On peut en parler. On peut aussi lui proposer un moment symbolique, une fête, une rando, un resto… On peut encore proposer à Cib de lui remettre les notes qu’on a prises tout au long de l’accompagnement, ou de les détruire ensemble.

Parfois on s’implique pendant des mois et des années dans le soutien pour finalement reconnaître que ce n’était pas concluant. Et oui, des fois, ça ne marche pas : les enjeux sont si complexes, l’imbrication des subtilités humaines si tordues, que ce n’est jamais gagné. Même si on en sort avec un sentiment d’échec, c’était important d’essayer !

Que l’on sorte plus ou moins satisfait·e·s d’un processus comme celui-ci, il nous semble primordial de se féliciter pour les efforts fournis. Il s’agit avant tout de célébrer la force et la victoire de Cib. Mais il ne faut pas pour autant nier (pour nous-même et l’entourage), qu’en tant que soutien, nous avons fourni un travail important et trop souvent invisible.

Une fois de plus, nos émotions, nos questionnements et nos besoins en tant que personne soutien ne sont pas l’affaire de Cib. Iel a bien assez de sa propre histoire à prendre en charge ! Il reste donc important de se tourner vers d’autres pour faire le bilan de tout ça. Ça peut aussi être chouette de penser la transmission de ces expériences… en prenant garde à ne pas se spécialiser : on a tôt fait de se figer dans un rôle où on serait toujours cellui qui « porte secours », parce qu’on serait expérimenté·e·s, stables et sans avoir jamais besoin d’aide soi-même.

4. Accompagner la personne auteure des violences

La priorité

Avant toute chose et indépendamment de la question d’un accompagnement, Aut a un certain nombre de demandes à respecter en fonction des besoins exprimés par Cib. Cette étape non négociable va dans l’intérêt de la personne qui a subi l’agression/les violences : il s’agit en effet d’assurer sa sécurité physique et psychique, ou d’éviter par exemple qu’iel ne s’auto-exclue des espaces dans lesquels iel gravite de peur de croiser Aut. Il s’agit aussi de soutenir Cib dans son processus de reconstruction, en l’aidant à reprendre du pouvoir, en reconnaissant ce qu’iel a vécu, en signifiant par des actes qu’iel n’est pas responsable de ce qu’iel a subi.

C’est le rôle de la/des personnes soutien de Cib et/ou de la/des personnes médiatrices d’informer Aut (et toutes les personnes nécessaires) de ces demandes, et de les lui rappeler si nécessaire. Ces demandes peuvent être diverses (plusieurs exemples ont été détaillés dans la partie concernant le soutien à Cib). Dans tous les cas, il s’agit de protéger la personne qui a subi l’agression/les violences et de l’aider à se faire du bien, à aller mieux. Il ne s’agit pas d’une démarche punitive vis-à-vis d’Aut.

Néanmoins, Aut peut vivre ces demandes de manière plus ou moins difficile et mettre plus ou moins de bonne volonté à les respecter. C’est le rôle de la communauté dans son ensemble que d’avoir pour priorité le respect des demandes de Cib, et donc de mettre la pression sur Aut quand/s’il le faut.

L’accompagnement : une démarche choisie par la personne auteure

Au-delà du respect des demandes de Cib, l’accompagnement d’Aut est une situation choisie, c’est-à-dire une démarche de travail dans laquelle Aut s’engage volontairement, pour ellui-même. Cela signifie qu’en prenant au moins partiellement conscience des conséquences de ses actes, Aut est volontaire pour démanteler les mécanismes relationnels qui l’ont conduit·e à exercer de la violence, et pour travailler à ne pas reproduire de comportements violents. Cela signifie qu’Aut est dans une démarche active qui débouchera sur la sollicitation d’une personne pour l’accompagner dans la déconstruction de ses comportements problématiques (nous proposons d’appeler cette personne accompagnante « Accomp »).

Dans notre expérience, les processus d’accompagnement se sont souvent mis en place après une période plus ou moins longue de discussions conflictuelles et confrontantes pour Aut (cela peut intervenir plusieurs mois ou années après les faits en cause…).

Le cadre de l’accompagnement

Les bases politiques :

Pour nous, Accomp (qui prend le rôle d’accompagnant·e) doit avoir une base d’analyse politique anti-autoritaire, féministe radicale et intersectionnelle des rapports structurels de domination. Aut demande à être accompagné·e par Accomp en ayant connaissance de ses valeurs. En effet, dans la mesure où nous pensons que nos comportements individuels sont largement déterminés par les structures sociales dans lesquelles on s’est construit·e·s, il nous semble problématique de chercher à déconstruire notre potentiel à faire de la merde sans le situer dans ce cadre d’analyse en termes de rapports de pouvoir. Parce que le risque est réel pour Accomp de renforcer Aut dans certains mécanismes, notamment les très « classiques » victimisation et minimisation. Pour les mêmes raisons, il nous semble nécessaire que les personnes s’impliquant en tant qu’accompagnant·e en réfèrent à des féministes et/ou plus largement à des personnes partageant le vécu d’oppression de Cib (par exemple, en tant que racisé·e, handicapé·e, mineur·e, femme, gouine, trans, pédé, etc.) et d’autant plus lorsqu’elles ne partagent pas ce vécu.

La relation entre l’accompagnant·e et l’accompagné·e :

Contrairement au rapport avec un·e professionnel·le de psychologie/psychiatrie par exemple, la relation accompagnant·e-accompagné·e dont on parle ici cherche à tendre au maximum à l’horizontalité. Aut et Accomp se reconnaissent comme faisant partie d’une même communauté, de mêmes cercles. Il n’y pas d’expert·e et d’expertisé·e.

La confidentialité des échanges :

Pour que chacun·e se sente à l’aise et en confiance, il est nécessaire que soit discuté par Aut et Accomp le niveau de confidentialité des échanges et ce que chacun·e entend par là. Il s’agit tant de garantir à la personne qui se met en travail que sa vie ne va pas être déballée en place publique, que de permettre une communication avec la personne qui a subi l’agression/les violences si cette dernière avait des questions, ou encore de laisser la place à des soutiens pour Accomp. Enfin, tout en préservant la confidentialité des échanges, il semble important que la communication entre Accomp et la communauté ne soit pas un tabou, notamment afin d’éviter l’isolement d’Accomp et de Aut dans leur face à face.

Les formes :

Formaliser les espaces et les moments dans lesquels se passe l’accompagnement permet de ne pas déborder sur d’autres lieux et d’autres formes de relation que peuvent avoir par ailleurs la personne accompagnée et la personne accompagnante. Le cadre peut concerner le temps (régularité et durée des rencontres) et les espaces (rencontres seulement de visu ou possibilité de se parler au téléphone…). Tout est à négocier en fonction des besoins-capacités-disponibilités de l’un·e et de l’autre. Il semble en tout cas important de poser des limites et de bien cadrer l’accompagnement afin d’éviter de déborder sur l’emploi du temps de l’un·e ou l’autre, et de protéger Accomp d’éventuelles attentes d’Aut quant à une disponibilité permanente de sa part.

Les objectifs de l’accompagnement

Il s’agit d’une démarche active de la personne auteure qui veut se responsabiliser et qui demande un cadre pour cela.

Un travail de responsabilisation, cela passe notamment pour Aut par :

  • Faire cette démarche pour soi-même, parce qu’on prend au sérieux cet idéal de rapports non autoritaires entre individu·e·s et qu’on sait qu’individuellement et collectivement on a beaucoup de travail avant d’y arriver.
  • Amorcer ce travail parce qu’on n’a plus envie de faire du mal autour de soi, et qu’on sait que pour ça il est nécessaire de s’outiller pour développer des relations de la manière la plus égalitaire et consentie possible.
  • Prendre conscience des conséquences de ses actes, quelles que soient ses intentions au départ.
  • Être capable de développer de l’empathie pour Cib, de se connecter à son vécu, à ses ressentis, et de les prendre en considération comme valables et ne passant pas après les siens propres.
  • Être capable de se remettre en question sans pour autant sombrer dans une culpabilité stérile.
  • Analyser ses mécanismes relationnels et comportementaux pour comprendre lesquels sont en cause dans la/les situation(s) où on a agressé ou commis des violences sur Cib (ou d’autres personnes à d’autres moments)
  • Mettre en place les moyens de ne pas reproduire ces comportements violents, et trouver des outils pour tendre de plus en plus dans ses relations à une attention et au respect des limites, besoins, envies des autres
  • Porter attention aux demandes de Cib : est-ce qu’iel a besoin d’excuses ou bien d’être laissé·e tranquille ? On peut ressentir le besoin de multiplier les excuses parce qu’on réalise ce qu’on a fait, parce qu’on se sent coupable. Pour autant, ça peut être pour Cib une nouvelle forme de harcèlement et de dépassement de limites si sa demande était de ne plus être contacté·e.

Au final, on peut dire que l’objectif principal de l’accompagnement, c’est qu’Aut parvienne à ne plus reproduire les comportements qui ont généré des violences, pour ellui-même et pour les autres.

Le rôle de l’accompagnant·e

Une posture claire à définir

La relation entre la personne qui accompagne (Accomp) et celle qui est accompagnée (Aut) n’est pas une relation amicale. La personne qui endosse le rôle d’accompagnant·e est là pour écouter avec bienveillance, mais aussi pour confronter la personne auteure. Son rôle consiste à la fois dans une écoute empathique sans culpabilisation et dans le fait de recadrer les échanges, pour permettre des prises de conscience et un travail de responsabilisation.

Pour cela il est nécessaire qu’en tant qu’accompagnant·e on soit très au clair avec la situation, c’est-à-dire qu’on se soit mis en contact avec la/les soutien(s) de Cib, et qu’on ait en tête sa parole, son vécu, ses demandes, car tout au long du processus d’accompagnement, c’est toujours à cette parole et à ce vécu qu’il faudra revenir.

Avant et pendant le processus, quelques questions à se poser :

En tant qu’accompagnant·e, on peut être brassé·e, en proie au doute, on peut se sentir dépassé·e. Il est important de penser à soi, à ses limites, à sa disponibilité ou non selon les moments de la vie. De quelle situation s’agit-il, quels en sont les enjeux ? Est-ce que je me sens les épaules face à cette situation là ? Est-ce que j’ai la disponibilité émotionnelle pour écouter Aut ? Cette histoire me renvoie-t-elle trop fort à mon propre vécu ? Suis-je assez outillé·e pour le faire ? Quels sont mes propres enjeux relationnels avec la personne que je vais accompagner/que j’accompagne ? Avec la personne qui a vécu l’agression/les violences ? Quels sont les espaces dans lesquels je peux débriefer, parler de ce que je fais, questionner ma démarche, prendre du recul, avoir des retours critiques ?

Pistes pour accompagner Aut dans son travail sur ellui-même…

Nous avons choisi d’organiser ces pistes, dans un certain ordre, comme des étapes qui se succéderaient logiquement mais bien sûr, ce n’est pas figé. Il est important de se demander à chaque fois ce qui est pertinent en fonction du contexte, des personnes, etc… Alors voilà en vrac (mais pas tout à fait), quelques pistes à essayer et à retravailler pour s’impliquer dans l’accompagnement d’une personne auteure d’agression(s) :

Écouter Aut :

La façon dont iel reçoit ce que Cib lui reproche, ce qui a pu lui être imposé comme mesures à la demande de Cib, comment iel a vécu les choses… Il est possible qu’Aut ne comprenne pas vraiment ce qui lui arrive, ressente de l’injustice et se victimise (par exemple en disant « j’ai vécu des violences dans mon enfance c’est pour ça que j’ai agi comme ça », « ça me fait super violence d’être accusé·e »). Dans un premier temps, l’entendre tel quel, mais par contre c’est bien de prendre en note ces propos pour y revenir par la suite.

Visibiliser les décalages entre les vécus de Cib et d’Aut :

Comment Aut prend-iel en compte le ressenti de Cib ? Réalise-t-iel comment ses actes ont dépassé les limites de Cib ? Il s’agit de prendre conscience du décalage entre les intentions d’Aut (qui sont rarement d’agresser quelqu’un·e) et ce que ses actes ont produit. Quelle que soit la version qu’Aut exprime, notre rôle en tant que personne accompagnante, c’est de ramener au vécu de la personne qui a été agressée et aux conséquences que les actes d’Aut ont eu sur elle.

Il s’agit d’écouter Aut avec bienveillance et empathie, mais en faisant attention à ne pas minimiser ce qu’iel a fait et les conséquences que cela a eu. De la même manière, il s’agit de mettre Aut face à la gravité de ses actes sans pour autant en faire une personne « monstrueuse ».

Identifier les différents enjeux du travail en cours :

Nommer les comportements et mécanismes qui ont pu contribuer à en arriver à l’agression/la situation de violence (notamment les rapports de pouvoir et de domination en jeu) ; clarifier quelles limites ont été dépassées, comment et à quel moment ; démêler les différents enjeux relationnels avec Cib.

Il s’agit d’aider Aut à comprendre comment iel fonctionne et à identifier quels aspects de son fonctionnement ont pu/peuvent avoir des conséquences graves. Cela suppose d’interroger à la fois une construction individuelle (chacun·e a son propre parcours individuel et complexe) et les constructions collectives qui nous traversent immanquablement (construction de genre, de classe, de race, schémas relationnels normatifs liés au couple et à l’imaginaire de l’amour romantique, schémas relationnels normatifs liés à la famille, au rapport enfant/adulte, besoin de reconnaissance, de contrôle, dépendances, jalousies, etc.).

Confronter :

Quand une personne prend/tend à prendre le pouvoir sur d’autres de façon illégitime, elle a généralement tendance à le nier, ou au moins à chercher des arguments pour se déculpabiliser, minimiser la portée de ses actes. Parfois ça prend des formes plus subtiles, par exemple quand Aut reconnaît les violences en surface mais refuse de se confronter en profondeur à la réalité des faits, c’est-à-dire de prendre réellement au sérieux les dégâts que ses comportements ont causé/causent chez les autres. Pour travailler au mieux avec les personnes auteures sur ces mécanismes de résistance/protection, il est indispensable en tant qu’accompagnant·e de revenir régulièrement aux faits et à leurs conséquences, c’est-à-dire à la réalité vécue par la/les personnes cibles.

Changer les choses :

Après avoir commencé à identifier les comportements et dynamiques relationnelles qui posent problème, il s’agit de les faire changer. Le fait qu’Aut en prenne conscience, c’est déjà un signe qu’iel avance, mais ce n’est pas suffisant pour opérer de réels changements.

Il s’agit maintenant de l’aider à trouver des outils concrets pour mettre en place d’autres types d’interactions dans ses relations.

Ça peut être de se donner des consignes très précises pour changer d’habitudes, comme de nouvelles « règles du jeu » à expérimenter dans ses relations aux autres. Par exemple, essayer de plus exprimer ses émotions dans les discussions ou, au contraire moins parler, n’exprimer qu’une seule idée à la fois et toujours préciser quand on a fini de parler pour donner plus de champ à d’autres pour prendre la parole ; toujours verbaliser lorsqu’on s’apprête à toucher quelqu’un·e pour faciliter que la personne puisse dire non, ou bien, s’astreindre à ne plus toucher les gens si spontanément ; ne plus boire d’alcool, ou bien, toujours demander à une personne de confiance d’avoir un œil sur soi si on sait qu’on a facilement des comportements pénibles sous alcool, ou bien ne plus avoir de relations de séductions et/ou sexuelles sous alcool, etc.

Ça peut être aussi qu’Aut lise/écoute ce que des groupes minorisés peuvent produire comme réflexion sur les rapports de domination ; qu’iel ait une attention continue sur d’anciennes ou de nouvelles dynamiques de pouvoir qui peuvent se jouer dans tous types de relations qu’iel est amené·e à tisser ; qu’iel participe à des ateliers sur les questions de consentement, de rapports de pouvoir ; qu’iel parle à ses proches du travail de responsabilisation qu’iel est en train de faire ; qu’iel prenne l’habitude de vérifier (c’est à dire de poser des questions aux personnes concernées) lorsqu’iel a un doute ou lorsqu’iel n’est pas sur·e de comprendre les enjeux d’une situation… Et tant d’autres outils à rechercher, inventer, partager qui nous aident à déconstruire et reconstruire nos réflexes et nos besoins.

Faire des points sur l’évolution de la situation tout au long du processus :

Aider à valoriser les étapes de réussite en parlant de ce qui se passe mieux. Recadrer en pointant ce qui dérape. Rappeler les objectifs. Aider à visibiliser de nouvelles problématiques, à identifier ce qui reste à faire. Inciter Aut à trouver d’autres personnes ressources, d’autres espaces de travail que le seul espace de cet accompagnement.

Conclure un accompagnement

Régulièrement, on peut reprendre les objectifs qu’on avait listés tout au long du processus, pour faire le point, mesurer le chemin parcouru et ce qui a changé.

L’idéal bien sûr serait que la personne auteure des violences, ayant fait un bon bout de chemin, ait acquis les ressources personnelles et relationnelles nécessaires pour poursuivre ce travail par ellui-même/avec d’autres et pour mettre en place des stratégies concrètes de pratique du consentement dans ses relations. Mais la fin de l’accompagnement peut aussi se poser dans des conditions moins idéales. Parfois, l’accompagnement devient trop énergivore pour Accomp qui a l’impression de ne pas avancer, de ne pas travailler le fond du problème avec Aut. Parfois, l’accompagnement peut être ressenti comme un échec par l’un·e ou l’autre des protagonistes. Parfois, alors que l’urgence est passée et que les choses se sont tassées, Aut estime que l’accompagnement n’a plus de sens alors qu’Accomp pense qu’il y a encore bien du chemin à parcourir… Nous pensons que dans ces situations il est important de trouver une manière d’arrêter, de conclure. Pour éviter de s’épuiser en tant qu’accompagnant·e, il est important de donner ce que l’on peut donner, de savoir poser nos limites, et de savoir conclure si besoin, en verbalisant des bilans, même s’ils sont insatisfaisants.

Les personnes accompagnantes ne sont pas seules responsables du processus de travail de la personne auteure. Avant tout, pendant l’accompagnement comme après, Aut en est ellui-même responsable. Et, au-delà, la communauté dans son ensemble a son rôle à jouer pour qu’Aut (mais pas que…) continue à bouger, à avancer, à travailler sur les enjeux liés aux relations.

Et pour finir, quelques mots sur la dimension communautaire…

Nous exposons toutes ces pistes, pour une prise en charge volontaire de situations de violences interpersonnelles, par le biais de rôles définis et clairement partagés, et afin d’éviter que tout le monde (ou personne) s’en mêle d’une façon qui complique et aggrave encore les choses.

Nous voulons rendre visible des attentions, du temps et de l’énergie, habituellement données par seulement quelques-un·e·s et dans l’ombre. Pour que ça tourne ! Que plus de monde s’en empare !

Nous voulons en faire des pratiques que l’on peut questionner, travailler, améliorer, pour que ce soit toujours en chantier.

Au-delà de ces rôles, nous pensons que c’est à tout le monde de donner du soin et de l’attention. Nous trouvons difficile et passionnant de réfléchir à ça : comment penser la responsabilité communautaire ? Comment nous donner des cadres plus rassurants, plus attentionnés, plus exigeants… sans fabriquer une « police de la pensée » et devenir des « control freaks » qui veulent tout maîtriser ? Il s’agit d’un équilibre bien subtil… Nous croyons que plus nous parlerons de ces sujets-là, plus nous serons nombreux·ses à nous relayer, à nous soutenir, à nous faire confiance, plus nos communautés seront fortes et aiguisées sur ces sujets.

Alors appropriez-vous ces diverses notions, parlez-en autour de vous, faites circuler les brochures et les liens, faites des tables de presse, demandez de l’aide quand cela vous paraît nécessaire et/ou encouragez celles et ceux qui vous semblent disponibles et bien placé·e·s à en offrir, devenez/redevenez/restez plus fort·e·s, plus autonomes et plus responsables dans cette communauté qui vous/nous est essentielle.

PS :

La brochure page par page :

La brochure en cahier :

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