[Accident anti-industriel 2/6] La non-neutralité de la technologie - Une ontologie sociohistorique du phénomène technique

Un des point de départ philosophique du débat sur la question se concentre sur ce qu’elle est. Est-elle neutre ou politiquement situé ? PMO, ainsi que la plupart des tenants de la critique anti-industriel, partent du principe de non-neutralité de la technique. Toutefois, ce point semble partager par une grande partie des mouvement radicaux et semble pour beaucoup nécessaire à toutes luttes aujourd’hui. Doit-on reprendre les moyens de production tel qu’elle ou transformer les outils de production parce qu’ils nous aliènent ? D’un autre coté, une fois posé, cette question semble entraîner des réponses qui ne sont pas forcément enviable. Ce débat remonte, la philosophie de l’ontologie (de l’être) et ses critiques ont déjà longuement tergiversé sur ce point, les possibles conséquences politiques de cette vision du monde ainsi que sur les positionnements politiques de certain de ces acteurs au long de l’histoire.
D’un autre coté, les analyses ne s’intéressant pas réellement à ce questionnement sont souvent simpliste et ne permettent pas une critique approprié de la société actuelle et risque de tomber dans un progressisme niais. Le progrès technique entraîne t’il nécessairement le progrès social ?
L’histoire de cette réflexion ressemble à une marche sur une crête où la chute d’un coté ou de l’autre peut subvenir à tout moment.
Nous ne somme pas d’accord avec la façon dont est développée la thèse principale dans cette article, il est là pour présenter une pensée qui n’est pas forcément la notre. D’autres philosophies seront mises en ressource en fin d’article

Nombre des grands problèmes actuels peuvent être associés, d’une manière ou d’une autre, à une avancée technologique. L’extension de l’informatisation et son impact sur le tissu social et économique ; les guerres contemporaines et la hantise de l’accès aux ressources qui alimentent notre mode de vie technologiquement assisté ; le changement climatique et ses solutions high-tech comme la géo-ingénierie ; l’« indispensable » transition énergétique et la manière dont elle alimente les mouvements d’accumulation et de spéculation associés à la mobilité électrique et aux énergies renouvelables de haute technologie ; la biotechnologie et ses corollaires : la transgénique, la biologie de synthèse, [1], etc.
Pourtant, la réflexion n’est pas, en général, à la hauteur de l’hégémonie sociale exercée par ces transformations technologiques. Chaque phénomène est étudié de manière fragmentaire, ses implications négatives sont dissimulées et, plus important encore, le lien entre la domination capitaliste, la croissance économique, la destruction écologique et le développement technologique demeure en général opaque.
Clarifier le rôle et l’importance de la technologie dans un monde soumis à une crise multidimensionnelle (écologique, économique, sanitaire, climatique, politique, axiologique, etc.) nécessite une pensée tenant compte à la fois de l’ensemble des instruments et des métabolismes de nos sociétés, et de la totalité que forment ces mêmes sociétés [2]. Pour cela, le plus urgent est d’abandonner le paradigme de la neutralité de la technologie.
Selon Langdon Winner, ce paradigme possède deux dimensions [3]. La première est la réduction des objets techniques à de simples outils. Pensons à l’exemple célèbre du couteau. Le couteau peut être utilisé pour faire le bien ou le mal. Il peut être utilisé pour couper des légumes ou pour tuer quelqu’un. Il est, selon les défenseurs de la neutralité, axiologiquement neutre. Le critère pertinent de son évaluation morale et politique est donc son utilisation, c’est-à-dire l’utilisateur plutôt que l’instrument lui-même. Pour étudier le couteau, il n’est pas nécessaire de considérer un autre élément du monde, la seule chose à prendre en compte est le couteau lui-même.
La deuxième dimension renvoie au mythe du Progrès. Dans le cadre de la neutralité, le développement technologique est considéré comme un phénomène naturel, par principe incontrôlable. C’est pourquoi, bien souvent, on rétorque à celui qui interroge une nouvelle avancée technologique : « Que voulez-vous, retourner dans les grottes ? » La sentence est parfois encore plus lapidaire : « On n’arrête pas le Progrès. »
Dans cet article, je me propose de remonter aux origines de ce paradigme. Je présenterai également une alternative : le paradigme de non-neutralité de la technique (dont la technologie est un cas particulier). Ce paradigme vise à fournir aux phénomènes technologiques un cadre d’analyse qui permet d’appréhender la singularité du monde actuel et de nous aider à surmonter sa crise de manière émancipatrice. Pour ce faire, elle doit étudier le phénomène technique dans sa généralité, tout en y intégrant une perspective sociale et historique. En d’autres termes, le paradigme de la non-neutralité de la technologie est une ontologie de la technologie en tant que phénomène sociohistorique.

Technique et technologie : le paradigme de la neutralité de la technique

Technique

Un discours qui chercherait à critiquer la technique en soi, ou à la dénoncer comme le péché originel de l’humanité, risquerait fort de se ridiculiser [4]. La création de techniques est, parmi d’autres, un attribut inhérent à l’animal humain [5]. Comme le langage, la capacité de créer des objets associés aux pratiques instrumentales (ou matérielles) est innée et caractérise toutes les sociétés humaines connues [6].
Ce lien avec les pratiques instrumentales est déterminant, car il évite de tomber dans l’une des erreurs de la neutralité : chercher à penser les objets en eux-mêmes, indépendamment de la totalité sociale. Les anthropologues (Marcel Mauss ou André Leroi-Gourhan) et les philosophes (Gilbert Simondon ou Cornelius Castoriadis) ont fait remarquer, de différentes manières et dans différents contextes, qu’un objet technique n’est rien s’il est isolé de l’ensemble technique auquel il appartient et des pratiques instrumentales correspondantes. Par exemple, un arc est inutile si nous ne « savons » pas comment le faire fonctionner (arc ou lyre ? pourrait-on se demander, en se souvenant du célèbre fragment d’Héraclite), si nous ne connaissons pas le geste approprié pour son usage. Mais savoir comment le construire et l’utiliser n’épuise pas non plus notre compréhension de l’arc. Si nous négligeons le degré de reconnaissance sociale de la chasse, le symbolisme qui associe peut-être l’arc à la virilité, ou même son rôle cérémonial dans les rites de passage à l’âge adulte, nous continuerons à ne savoir presque rien de sa réalité.
Cette nécessité d’étendre la compréhension d’un ensemble technique au-delà des utilisateurs humains et de leurs pratiques instrumentales devient encore plus évidente dans le cas des objets techniques dont la dimension symbolique est peut-être plus importante que la dimension instrumentale. Pensons, par exemple, aux instruments de musique (la lyre au lieu de l’arc) ou aux peintures et aux sculptures. Qu’est-ce qui est alors le plus significatif, le luthier/peintre/sculpteur et ses pratiques matérielles, la dimension symbolique des objets eux-mêmes ou, dans le cas des instruments de musique, leur utilisation ?
Ce qui précède nous invite à inclure l’ensemble technique, auquel appartient un objet particulier, dans l’ensemble de la société (ou du moins une partie importante de celle-ci) qui l’a créé, en particulier ses dimensions imaginaires et institutionnelles. En d’autres termes, la nature la plus essentielle de l’objet technique, le cœur de sa description ontologique, est son caractère sociohistorique. L’objet technique doit être compris comme un fragment de matière où s’enchevêtrent les gestes, les désirs, les évaluations et les imaginaires d’une société historique donnée. Les techniques sont donc des créations sociales radicales, au sens où elles expriment différentes manières d’appréhender le monde, de s’y situer et de s’y inscrire [7].
De plus, le lien entre la société, l’individu et l’objet technique est réversible. La totalité sociale crée l’individu social, qui à son tour crée l’objet technique. Mais cet individu, en s’intégrant dans l’ensemble technique qui rend possible le fonctionnement de l’objet, est à son tour façonné par lui. Lorsqu’il crée une technique, il se crée aussi lui-même et engendre ce qui, en tel endroit et à tel moment, sera considéré comme une nécessité sociale [8]. Le chasseur crée l’arc en le construisant. Mais l’arc crée aussi le chasseur, en modelant sa façon de marcher, de regarder, en influençant son corps, sa vision du monde, la façon dont il est socialement perçu, son rôle social, sa façon de s’habiller et de se nourrir, etc.
Cette réciprocité ne relève pas du déterminisme selon lequel à chaque type d’arc correspondrait mécaniquement un certain type d’être humain. La construction des types sociaux est un processus social complexe dépendant d’une multitude de facteurs. Mais, sans aucun doute, l’un d’entre eux est la technique. De même, l’appartenance d’un objet à un univers social donné n’interdit pas son transfert culturel : il existe une dimension rationnelle et rationalisable dans toute technique qui permet une universalisation potentielle de cet objet [9].
Pour autant, chaque technique transférée entraîne avec elle une grande partie de son ensemble technique : pratiques, exigences matérielles, infrastructures, etc. Et un nouvel ensemble technique, intégré dans une autre société, peut se voir attribuer une signification différente et modeler de nouveaux rôles sociaux et des valeurs inédites. En retour, le transfert d’une technique modifie aussi qualitativement la société qui l’accueille. C’est ce que Neil Postman veut dire lorsqu’il écrit que le changement technique n’est pas additif, mais écologique [10]. L’ajout d’une technique, par exemple la presse à imprimer dans l’Europe de 1500, n’a pas donné une Europe identique à laquelle s’ajoutait simplement une nouvelle technique, mais une Europe complètement différente.

Technologie

À partir de cette approche préalable de la technique, il est possible de considérer la technologie comme la forme concrète prise par la technique dans les sociétés capitalistes modernes. L’une des exigences de l’ontologie sociohistorique de la technique est la compréhension de la totalité sociale dans laquelle elle s’insère. De toute évidence, il est impossible de présenter ici une description complète de l’émergence et de l’évolution des sociétés capitalistes modernes. Toutefois, pour étudier la création de la technologie, il peut suffire de se concentrer sur deux phénomènes.
À propos de l’imaginaire social, l’obsession grandissante de la mécanique et la constitution du paradigme de la neutralité et, en particulier, du mythe du Progrès, ont étayé la technolâtrie et le prométhéisme caractérisant nos sociétés jusqu’à aujourd’hui. Sur le plan matériel, l’apparition de la technoscience a transformé les métabolismes sociaux et participé à l’institutionnalisation d’une société industrielle qui, à partir de la fin du xviiie siècle et surtout au xixe siècle, s’est muée en une société thermo-industrielle. Les deux processus sont, bien entendu, étroitement liés et doivent être compris comme les deux faces d’une transformation sociale générale soutenue par l’interdépendance dynamique entre les changements matériels et imaginaires. Les nouvelles inventions ont modifié la conception sociale du monde et de la société. Mais, à leur tour, ces nouveaux imaginaires ont initié des transformations matérielles jusqu’alors inconcevables.
En Europe, vers le xvie siècle, l’image de la nature, de l’être humain et de leur interaction a été radicalement bouleversée. Un facteur déterminant de ce bouleversement a été l’émergence de nouvelles pratiques extractives associées au capitalisme naissant, telles que l’exploitation minière. Pour le paradigme organiciste qui dominait jusqu’alors, la Terre était une mère luxuriante et généreuse. Ce point de vue prescrivait une limite éthique à des pratiques telles que l’exploitation minière, qui était considérée comme l’équivalent d’une intrusion dans les entrailles d’un corps, en l’occurrence celui de la mère elle-même [11].
Pour s’imposer, le capitalisme devait s’affranchir de toute limite. C’est pourquoi, afin de légitimer l’extension de l’exploitation minière, des auteurs comme Agricola qualifiaient la Terre de marâtre : une mère aimante dissimulerait-elle dans ses profondeurs les métaux bénéfiques à l’épanouissement de ses enfants ? L’exploitation minière n’a été que l’amorce d’une transformation métabolique intégrale qui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, a fini par briser la dépendance exclusive de l’agriculture aux énergies véritablement renouvelables que sont le vent et l’eau. Le rôle central des minéraux, et bientôt du charbon, a consacré le « choix de feu » dont parle Alain Gras [12]. Un choix qui s’est élargi et renforcé au fil du temps, à mesure que les combustibles fossiles devenaient l’épine dorsale du capitalisme industriel [13].
L’impact sur l’imaginaire de ces premières transformations métaboliques, liées à l’exploitation minière, a été amplifié par les pensées de Bacon et de Descartes. Pour ces derniers, la Terre a cessé d’être une mère, généreuse ou égoïste, pour devenir une étendue étrangère et sans vie. Le modèle choisi pour décrire ce nouveau monde inerte, incluant les non-humains et le corps humain, a été fourni par la mécanique. L’objectif était de pouvoir trouver un cadre explicatif universel à partir de concepts tels que l’inertie, la masse ou la force. Dans le Léviathan de Hobbes, même la société était considérée comme un immense mécanisme composé d’individus conçus comme ses rouages.
En outre, le programme de Bacon ne s’est pas borné à l’épistémologie. Sa représentation du monde, concrétisée par le processus d’institutionnalisation et de renforcement de la science moderne au sein de nouveaux instituts tels que la Royal Society, a eu un impact profond sur les priorités et les objectifs des sociétés occidentales à partir du xviie siècle. La nature, considérée comme une étendue inerte, pouvait être connue et contrôlée, afin de fournir aux humains toutes les richesses nécessaires à une vie pleine, abondante et heureuse [14].
L’idée était simple. L’ère nouvelle célébrait l’heureuse union de la science et de la technique. La science pure devait permettre d’accroître la connaissance théorique du monde. À partir de ces connaissances, des applications pouvaient être développées : les techniques. La science était donc capable de soutenir un développement technique systématique et constant, élargissant ses applications à l’ensemble des domaines de l’existence. Réciproquement, la technique appliquée à la recherche permettait d’approfondir toujours plus la connaissance théorique. Si bien que le progrès scientifique devait favoriser un développement technique qui devenait sa propre condition de possibilité. Et ce que devait enfanter ce mariage réussi de la science et de la technique n’était autre que l’augmentation de la richesse et du bien-être social.
Cette façon de comprendre la technique comme un instrument, comme une application de la science permettant la maîtrise de la nature, nous oblige à abandonner la technique en son sens générique pour aborder ce phénomène historiquement nouveau qu’est la technologie. La technologie correspond à la technoscience, au sein de laquelle la technique et la science se combinent dans le but de créer un cadre institutionnel dont l’objectif premier est de systématiser et d’améliorer le processus d’invention. Elle est une création sociale, dont les prémices remontent à la Renaissance, et qui a connu une impulsion définitive au xviie siècle, avant de donner ses meilleurs fruits à partir du xixe siècle.

Le paradigme de la neutralité technologique

L’heureuse union de la technique et de la science cachait cependant un sombre secret dans l’intimité de sa chambre : la formation du paradigme de la neutralité de la technique. Les discours du xviie siècle présentaient la technique comme un pur instrument au service de la production du bien-être social. Et, bien que cette conception étroitement instrumentale des techniques date au moins de l’âge classique, c’est à cette époque qu’elle s’affermit et s’intègre au paradigme renouvelé de la neutralité de la technologie [15].
L’élément essentiel de ce paradigme est le mythe du Progrès. Les racines de la notion de progrès sont profondes, mais c’est au xviie siècle que ce mythe commence à acquérir toute sa vigueur [16]. Ainsi, le programme de Bacon, matérialisé par la technologie, comporte une conception sécularisée du salut qui met le paradis entre les mains des êtres humains et de leurs œuvres matérielles concrètes [17]. Dans un contexte de succès continu des nouvelles sciences mécaniques et de développements technologiques incessants, ce programme a fait des technologies non seulement les moyens neutres de bien-être, mais aussi les véhicules d’une trajectoire d’amélioration irréversible. Si jusqu’alors l’humanisme, comme celui de Montaigne, avait théorisé un progrès moral de l’humanité par l’éducation, l’esprit critique et la démocratie, à partir de ce moment, le progrès moral et social a progressivement été réduit au progrès scientifique et technologique.
D’un côté, le paradigme de la neutralité a conduit à la naissance de ce que Lewis Mumford appelait le credo mécanique ou la religion industrielle [18]. Le développement technologique est devenu un impératif social, le critère du bonheur et du bien-être, quasiment le but ultime de la vie humaine. Un credo qui a inévitablement déifié la technologie, comme substitut à Dieu dans la réalisation du salut, généralisant la foi en l’existence de solutions technologiques à chaque problème humain.
D’un autre côté, l’expansion technologique s’est accompagnée d’un profond prométhéisme [19]. L’ivresse générée par les progrès résultant de machines fabriquées et contrôlées grâce à leur ingéniosité a conduit les sociétés industrielles à remettre en cause toutes les limites, y compris celle de la mort. L’être humain en est alors venu à être considéré comme le démiurge d’une existence, celle du monde industriel, promettant de s’affranchir des punitions imposées par Dieu à Adam et Ève : la malédiction du travail (grâce à l’abondance industrielle), de la douleur et de la souffrance (qui seront abolies par la science médicale) et de la politique (qui sera déléguée à un État-machine rendant accessoire la vie en commun).
Il n’est donc pas étonnant que les implications sociales, politiques et imaginaires de la technologie n’aient pu être abordées dans le cadre du paradigme de neutralité. La notion de Progrès, et sa conception purement instrumentale de la technologie, fait du développement technologique un processus nécessaire. Elle masque sa nature sociohistorique, dissimule les choix qui l’ont guidée et, surtout, occulte les intérêts qui ont le plus bénéficié de l’orientation technique prise par nos sociétés il y a près de cinq siècles.
Car la technologie a été, de sa naissance à aujourd’hui, dépendante des pouvoirs politique et économique. Les premiers princes et les premiers marchands qui ont financé des recherches en philosophie naturelle ont vite compris que les cartes, les astrolabes ou les boussoles étaient des instruments privilégiés pour accroître leur pouvoir et leurs profits [20]. L’État moderne, qui participe au financement systématique du progrès technoscientifique, va plus loin en considérant que les technologies, notamment militaires, sont indispensables à la conservation de sa souveraineté. Une fois que la fabrication d’armes technologiques se développe dans les différents États occidentaux, tous vivent dans une « guerre froide » permanente. À tout moment, les connaissances et les technologies de l’ennemi potentiel peuvent surpasser les leurs et lui donner un avantage en cas de conflit.
La même préoccupation, notamment depuis la révolution industrielle du xviiie siècle, a animé les marchands devenus industriels. Leur guerre est d’un autre genre. Ils combattent sur le marché et leurs armes sont les perfectionnements technologiques des dispositifs mécaniques qui augmentent la productivité du travail, leurs profits et, surtout, leur capacité à subordonner les travailleurs à leurs propres intérêts [21].
À partir de la fin du xviiie siècle, le paradigme de la neutralité deviendra, à quelques rares exceptions près, hégémonique parmi les classes cultivées non conservatrices, contribuant à propager le triomphalisme technologique qui a traversé le xixe siècle et faisant de la technologie l’impensé par excellence [22]. Une absence de réflexion qui, sans doute, a pesé sur les nombreuses théories développant une représentation progressiste de l’histoire et octroyant à la technologie un rôle excessif.
Pensons, par exemple, au déterminisme technologique d’Auguste Comte ou de l’essentiel du socialisme marxiste. Tous ont défendu l’idée que le développement technologique était capable par lui-même d’améliorer l’ensemble de la vie sociale. Le paradigme de la neutralité a également soutenu l’idée, encore aujourd’hui communément répandue, que l’histoire de l’humanité était celle du progrès constant de ses outils techniques et de son contrôle sur la nature. Où sont donc les discontinuités techniques, l’épanouissement et la disparition des différentes sociétés au cours de l’histoire ? La notion même d’être humain a été rattachée à la technologie par des dénominations telles que celle d’Homo faber, à partir de laquelle Henri Bergson a réduit l’être humain à n’être qu’un simple outilleur. Ce préjugé est également très présent dans une grande part de l’histoire de la paléontologie, alors qu’il suppose, comme y insiste Lewis Mumford, le déni de la centralité du symbolisme et du langage dans le processus d’hominisation et dans les différentes sociétés historiques [23].
Mais l’héritage le plus néfaste de l’hégémonie de la neutralité de la technique a peut-être été la manière dont elle a conduit à considérer l’émergence et l’expansion mondiale du capitalisme industriel comme un processus inéluctable. C’est une manière de justifier par la « nécessité historique » la destruction physique et symbolique des sociétés paysannes et indigènes et, avec elles, de leurs techniques, de leurs modes de vie et de leurs imaginaires. Du point de vue du paradigme de la neutralité, le métabolisme industriel devient ainsi irrécusable et prend la figure d’un destin ; alors même qu’il se révèle toujours davantage comme étant non durable, basé sur la déprédation des ressources renouvelables ou non, la fragilisation de la viabilité et de la stabilité de la vie sur Terre et la destruction des moyens techniques et des métabolismes créés au cours de milliers d’années et adaptés à différents territoires.

Un paradigme de la non-neutralité de la technologie pour la société capitaliste industrielle

La fin du progrès

L’hégémonie incontestée de la neutralité a pris fin avec la première guerre mondiale. Si jusqu’alors le progrès semblait être un processus intellectuellement, historiquement, économiquement et politiquement imparable, la boue et le sang des tranchées en dévoilaient l’inanité. De fait, les années 1930 ont connu une véritable « crise du progrès », lorsqu’à la guerre ont succédé la Grande Dépression et la montée du fascisme. Comment concilier le dogme prêchant que tout progrès technique implique un progrès moral avec l’image des millions de morts dans les tranchées, des corps saisis par les émanations des gaz mortels, des ouvriers entassés dans les usines et condamnés pour leur existence entière à des gestes répétitifs, avec les conditions de misère des nouveaux quartiers populaires [24] ?
De nombreux auteurs de l’entre-deux-guerres ont réalisé qu’essayer de concevoir le capitalisme industriel à la manière d’une somme de couteaux axiologiquement neutres était un non-sens, car le type de transformation provoqué par le développement de l’industrie dans les sociétés occidentales, et bientôt dans le monde entier, ne pouvait être réduit à une simple accumulation de moyens susceptibles d’être utilisés « librement ». Castoriadis résume la situation en remarquant que, bien que l’acier puisse être indifféremment utilisé pour fabriquer des charrues ou des canons, cela « n’implique pas que le système total des machines et des techniques existantes […] puisse servir indifféremment une société aliénée et une société autonome [25] ».
L’accumulation de machines pendant près de quatre siècles a entraîné une transformation qualitative de la société, devenue flagrante avec le développement de l’énergie nucléaire, la montée de la course technologique préventive et le déploiement de la société de consommation. Élucider la nature de cette transformation et ses implications ne nécessite pas une connaissance approfondie de toutes les techniques de fusion de l’acier, pas plus qu’une étude exhaustive des machines fabriquées en utilisant l’acier comme matière première. L’objet d’étude doit plutôt être la totalité sociale : l’ensemble technique et sa place dans la société capitaliste industrielle, avec ses inerties, ses imaginaires, ses institutions, etc. Une telle perspective va à l’encontre de ce que Carl Mitcham appelle les philosophes de la technologie de l’ingénierie [26]. Dans des œuvres comme celles de Kapp, Engelmeir ou Simondon, les auteurs tentent de donner une nouvelle vie à la neutralité en la séparant des versions les plus naïves du progressisme et de la conception instrumentale de la technique [27].

Le capitalisme industriel : un regard « non neutre »

Une des innovations essentielles de la société capitaliste industrielle est la création d’une totalité sociale étendue à la Terre entière. Bien qu’anciennes, les aspirations impériales ont toujours trouvé, dans le passé, des limites manifestes à leur capacité de contrôle et d’influence. Ces limites étaient d’abord politiques et institutionnelles, car leur pouvoir, la plupart du temps, se résumait à décider de la vie et de la mort des vaincus et, dans le meilleur des cas, de percevoir des impôts finançant leurs armées de conquête. Mais ces aspirations se sont également heurtées à des limites matérielles. Pendant des millénaires, sous différents jougs et drapeaux, les modes de vie et les métabolismes sociaux n’ont pas été profondément bouleversés. La vie des paysans et des populations indigènes a continué d’être guidée par le rythme des saisons, par les calendriers agraires et par leurs propres institutions politiques et juridiques. Lorsqu’elles entraient dans la sphère d’influence d’un empire, ces institutions étaient contraintes à en devenir les vassaux, mais conservaient une part significative d’autonomie [28].
L’association mercantiliste du capitalisme et de l’État a tout changé. Pour la première fois dans l’histoire, l’objectif n’était pas simplement d’imposer l’autorité, mais de façonner les modes de vie. D’abord dans la dimension de ce que Michel Foucault appelait le biopouvoir : modeler l’éthos dans des domaines tels que la sexualité, l’éducation, le langage, etc., mais également, ce qui a été souvent négligé, dans les domaines des besoins et des moyens de les satisfaire [29].
On ne peut comprendre ces transformations sans considérer que la naissance et la diffusion de l’industrialisme est inséparable de la domination conjointe du capitalisme et de l’État. L’histoire du capitalisme est celle de l’expropriation progressive des individus et des sociétés de la capacité et des moyens de satisfaire leurs besoins de manière autonome. D’un côté, l’État, notamment sous sa forme d’État providence, a absorbé et monétarisé les activités de soin et de justice. De son côté, le capital, pour répondre à son appétit de croissance et de valorisation constante, a « marchandisé » la quasi-totalité des domaines de l’existence. Pour reprendre les mots de David Harvey, son expansion est une dynamique d’accumulation par dépossession [30].
Avec la naissance du métabolisme industriel, ces processus de dépossession ont acquis une ampleur et un rythme sans précédent. L’industrie représente une transformation cruciale car elle permet au capitalisme, au moyen d’un ensemble croissant de technologies, de déterminer l’ensemble des besoins et des imaginaires des sociétés humaines. Dans le cas des techniques préindustrielles, l’acteur principal des ensembles techniques, au sens où on l’entendait alors, demeurait l’être humain, soit individuellement, soit en groupes restreints. L’objet technique restait, dans une certaine mesure, un outil. Il n’est pas surprenant que l’idée, indispensable pour la neutralité, de la technologie comme simple instrument soit apparue à cette époque. Même si l’on peut raisonnablement admettre, avec des nuances, que cette idée n’a pas été modifiée par les premières machines-outils issues de la technologie, il est indéniable que leur capacité à imposer des transformations sociales d’envergure a d’abord été limitée. Les procédés que la société percevait comme vitaux correspondaient à ceux de la production artisanale ou à l’usage de ses produits. Le rôle de la technique dans la reproduction de la société était perçu comme accessoire, à l’exception de l’agriculture, dont l’importance métabolique lui conférait également une plus grande influence sur l’imaginaire.
Relativement à ce contexte préindustriel, l’industrialisation et l’apparition des premières usines (ateliers ou manufactures) a provoqué un changement radical. Le travail de l’artisan, reposant jusque-là sur l’outil et la maîtrise des procédés techniques, a été remplacé par l’action spécialisée d’une multitude de machines. La science a disséqué les gestes humains et les a fixés, de manière standardisée, sur ces machines. Comment s’étonner qu’à cette époque la machine ait été perçue, sur la base d’une évaluation perspicace, comme un ennemi qui se substituait à l’être humain et contre lequel il convenait de s’opposer violemment [31] ? Pourtant, cette perception a rapidement été éclipsée par le succès de l’imaginaire de la neutralité, issu de la vulgarisation des auteurs progressistes de l’époque, des libéraux aux socialistes. Marx, même en considérant l’abandon du progressisme naïf dans ses écrits de maturité, a joué un rôle crucial dans ce succès [32]. Par l’intermédiaire du marxisme, la neutralité de la technique est passée du statut d’idéologie des classes cultivées, en particulier de la majorité des élites politiques et économiques, au statut de sens commun partagé par la majeure partie de la population.
Avec l’industrialisation, la fonction que remplissait l’être humain dans les ensembles techniques a été transférée à un ensemble de machines reliées entre elles [33]. Cette transformation a enclenché une dynamique d’interconnexion de machines et d’ensembles de machines de plus en plus nombreux, aux conséquences profondes. Par exemple, la cohérence et la compatibilité avec les technologies préexistantes sont devenues les principaux critères du progrès technologique, au détriment des considérations sur leur bien-fondé et leur nocivité. Jacques Ellul parlait en ce sens de Système Technique. La technologie n’est pas neutre car elle impose une structure déterminée, des exigences spécifiques, certaines configurations de pratiques et de valeurs et, en conséquence, l’institution d’un certain type d’être humain et de société [34].
À propos de cette transformation, Ellul a également parlé d’autonomie de la technologie, concept qui doit être clarifié afin d’éviter tout contresens. Le fait que la technologie soit devenue un « facteur déterminant » ne doit pas nous faire retomber dans l’illusion du caractère incontrôlable des perfectionnements techniques, propre au mythe du Progrès. Le développement technologique n’échappe pas à tout contrôle humain. Mais l’interconnexion croissante des machines, de même que les bouleversements qu’elle génère chez les individus et dans les sociétés, est un processus qui présente une grande inertie. Les changements technologiques, qui sont initialement le résultat de décisions sociales au croisement de toutes sortes d’intérêts (politiques, économiques, imaginaires, etc.), peuvent en venir à acquérir une sorte de vie propre lorsque leur insertion dans le métabolisme, et leur impact sur les besoins sociaux, tendent à les rendre incontestables.
L’électricité, telle qu’elle a été étudiée par Thomas Hughes, en est un bon exemple [35]. Bien qu’il s’agisse d’une invention récente et qu’elle ait connu un développement regorgeant de controverses et d’intérêts contradictoires, dans quelle mesure avons-nous aujourd’hui la liberté de nous en passer ? Que faire des usines de production, des câblages de distribution, des installations, des technologies basées sur l’électricité, de nos habitudes, etc. ? Il est évidemment possible de vivre sans électricité, mais la difficulté pour y parvenir est à présent immense. De sorte que l’électricité est aujourd’hui considérée comme un besoin fondamental, au point que l’on parle de pauvreté énergétique et de droit à l’énergie.
Cette inertie ne doit cependant pas interdire de s’affranchir des lorgnettes du Progrès et de constater que la trajectoire du développement technologique au cours des derniers siècles est pour le moins ambivalente. Dès 1954, Jacques Ellul a attiré l’attention sur le fait que tout changement technologique a des conséquences à la fois positives et négatives, les secondes étant souvent beaucoup plus décisives que les premières [36]. Cornelius Castoriadis ajouterait que même les effets positifs ne sont pas univoques, puisque la possibilité d’une utilisation différente de celle prévue pour chaque technologie est toujours possible [37]. Leurs analyses montrent que tenter d’encenser « le bon côté » des technologies en dénigrant le mauvais, persévérer à rechercher exclusivement des solutions technologiques aux problèmes créés par les technologies, s’entêter dans l’illusion prométhéenne d’un contrôle de la nature par le biais de la technologie, nous condamne à un rétroprogrès.
Dépassé un certain seuil, les effets néfastes de la technologie excèdent ses effets positifs. C’est une évidence si l’on pense à notre dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles, source d’énergie principale de la quasitotalité des technologies actuelles. Dans la seconde moitié du xxe siècle, l’utilisation des combustibles fossiles, et la croissance exponentielle correspondante, nous a conduits à outrepasser chacune des limites planétaires : changement climatique, perte de biodiversité, bouleversement dans l’affectation des terres, acidification des océans, interférence dans les cycles du sol, etc. [38]. Pour autant, leur densité énergétique, leur polyvalence et l’inertie des usages associés rendent leur abandon quasiment impossible. Les assemblages techniques de presque toutes nos technologies dépendent d’infrastructures et de machines qui, à leur tour, dépendent de ces combustibles fossiles. Notre métabolisme constitue une véritable totalité, dans laquelle nourrir une personne dans un endroit du monde suppose de disposer de l’énergie nécessaire pour faire pousser sa nourriture dans un endroit situé à des milliers de kilomètres, pour transporter cette nourriture, la stocker, la traiter, la distribuer dans les supermarchés et, une fois consommée, pour gérer ses déchets.
C’est pourquoi, alors même que le changement climatique menace la pérennité de la vie humaine sur Terre, nos sociétés sont incapables de démêler le dense écheveau de l’industrie capitaliste. Et peu de personnes acceptent de voir que la transformation technologique susceptible de nous libérer des combustibles fossiles doit également être une révolution politique, sociale, économique et culturelle. Conformément à l’exemple de Neil Postman, l’abandon des combustibles fossiles ne conduirait pas à une société industrielle privée des technologies dont elle est dépendante, mais à une société qualitativement différente. Par conséquent, il est plus que jamais nécessaire de faire du paradigme de la non-neutralité de la technologie le cadre permettant d’étudier la technologie en tant que phénomène politique.

La nécessité d’une transformation politique de la technologie

L’adhésion au paradigme de la non-neutralité implique d’appréhender chaque technique, et en particulier la technologie, comme une création sociale radicale, donc en principe modifiable. Cependant, l’inertie acquise par les sociétés capitalistes industrielles rend ce changement particulièrement délicat.
Le philosophe allemand Günther Anders est probablement l’auteur ayant le mieux pris la mesure de cette difficulté. Dans l’introduction du premier tome de L’obsolescence de l’homme, il défendait déjà l’urgence de cesser d’interpréter les technologies de son temps comme des moyens neutres susceptibles d’être utilisés librement. En raison, d’abord, du type d’interconnexion dont nous avons parlé précédemment, qu’il a théorisé comme la réduction du monde à un « macro-instrument », c’est-à-dire un immense complexe de machines reliées entre elles et produisant ses propres contraintes [39].
En raison, également, de l’immensité de ce « monde technologique » et du gouffre qu’il a creusé entre notre capacité de fabrication et notre capacité de représentation et de perception. Ce « décalage prométhéen », selon lui, a rendu les êtres humains obsolètes, dépassés, superflus [40]. La bombe atomique et le possible anéantissement de toute vie humaine, le métabolisme industriel et son expansion tentaculaire sur la surface entière de la planète, ont rabaissé la condition humaine. Au point que la démesure du simple moyen que serait la bombe atomique – de facto capable de détruire n’importe quelle fin – nous a littéralement rendus incapables de toute responsabilité. Et cette incapacité fait de notre monde un monde obscur, rendu opaque à notre regard humain [41]. À l’époque du Capitalocène, alors que nos actes quotidiens impliquent la mort massive d’animaux et de plantes et la mise en danger des générations humaines présentes et futures, ce diagnostic s’avère particulièrement pertinent [42]. Comment nous représenter et percevoir la quantité de morts provoquée par un acte en apparence aussi inoffensif que prendre l’avion ? Comment pouvons-nous, par conséquent, nous en sentir responsables ?
Cette réflexion anthropologique sur l’inertie des sociétés capitalistes industrielles amène à nous heurter à l’éternelle question : que faire ? En suivant les conseils d’Anders, il conviendrait de développer des « exercices d’élongation morale » : d’extension de notre imagination et de nos sentiments apte à nous rendre à nouveau maîtres de nos créations technologiques [43]. Cependant, comme je crois l’avoir justifié dans ce qui précède, la dynamique destructrice et partiellement autonome du monde industriel ne peut être transformée uniquement par une autotransformation morale, pas même par un bouleversement révolutionnaire des imaginaires et des institutions donnant naissance à des sociétés plus justes, plus démocratiques et plus conscientes. Il ne fait aucun doute que l’une des dimensions fondamentales d’une alternative émancipatoire est la transformation de nos imaginaires, afin d’en finir avec la technolâtrie et le prométhéisme et d’adopter une pensée des limites et de l’autosuffisance. La reconnaissance de notre interdépendance et de notre écodépendance permettrait de nous éloigner de la technologie pour revenir à une technique, et une science, qui n’associeraient plus connaissance et domination [44]. Mais tout cela me paraît insuffisant (et impossible) dans le cadre du métabolisme industriel.
Il est essentiel, comme l’ont fait dans le passé les luttes écologiques comme la lutte antinucléaire, de s’opposer avant leur normalisation aux développements technologiques contraires aux intérêts de la majorité. Plus précoce sera l’opposition, plus il sera facile d’empêcher une certaine technologie d’acquérir de l’inertie par son extension matérielle mondiale et son implantation dans nos modes de vie et nos imaginaires. Dans cette optique, l’une des priorités devrait peut-être être aujourd’hui de nous opposer au processus d’informatisation et de numérisation du monde [45].
En outre, nous devons remettre radicalement en question chacune des technologies existantes. Celles-ci doivent faire l’objet d’un débat social et leur maintien doit être le résultat d’une décision politique consciente. C’est pourquoi l’abandon du métabolisme industriel est impératif. Ce n’est qu’en détruisant le monstre industriel que nous pourrons reconstruire collectivement une part de l’autonomie perdue au cours des siècles de son expansion – cette autonomie constituant la base indispensable pour s’y opposer véritablement. Nous serons alors également en mesure de comprendre nos techniques et d’en assumer la responsabilité. C’est seulement à partir de cette autonomie que nous pourrons créer collectivement des techniques conviviales [46], à la fois durables et compatibles avec un monde démocratique. Par conséquent, la lutte pour la justice et la démocratie, pour l’autonomie, doit être également la lutte pour se réapproprier la capacité de transformer nos techniques. Un combat dans lequel, aujourd’hui plus que jamais, nos vies sont en jeu.

Texte de Adrián Almazán Gómez
Traduit de l’espagnol par Jacques Luzi
Dans la revue Ecologie & politique

Notes :

[1"la reproduction artificielle de l’être humain », nous avons choisi de mettre cette part qui traite de la controverse en question dans notre dossier

[2V. M. Toledo, « El metabolismo social : una nueva teoría socioecológica », Relaciones. Estudios de historia y sociedad, vol. 34, n° 136, novembre 2013, p. 41-71.

[3L. Winner, La baleine et le réacteur. À la recherche de limites au temps de la haute technologie, Descartes & Cie, Paris, 2002.

[4Ce qui, malheureusement, arrive à des primitivistes tels que John Zerzan, Futur primitif, L’Insomniaque, Paris, 1999.

[5J. Rendón, « El otro lado de la técnica : diferencias y similitudes entre técnica animal y técnica humana », Trilogía Ciencia Tecnología Sociedad, n° 10, 30 janvier 2018, p. 63-77.

[6M. Mauss, Techniques, technologie et civilisation, PUF, Paris, 2012, p. 19.

[7C. Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Seuil, Paris, 2006 [1975].

[8C. Castoriadis, « Technique », dans Les carrefours du labyrinthe 1, Seuil, Paris, 1998 [1978], p. 304.

[9C. Castoriadis, op. cit., p. 111.

[10N. Postman, « Five Things We Need to Know about Technological Change », conférence donnée à Denver (Colorado), 28 mars 1998, p. 4, https://web.cs.ucdavis.edu/~rogaway/classes/188/ materials/postman.pdf.

[11C. Merchant, The Death of Nature. Women, Ecology, and the Scientific Revolution, Harper & Row, New York, 1989, p. 29.

[12A. Gras, Le choix du feu. Aux origines de la crise climatique, Fayard, Paris, 2007.

[13R. Fernández Durán et L. González Reyes, En la espiral de la energía. Historia de la humanidad desde el papel de la energía (pero no solo), Libros en Acción y Baladre, Madrid, 2014, 2 vol.

[14J. Luzi, Au rendez-vous des mortels. Le déni de la mort dans la culture moderne, de Descartes au transhumanisme, La Lenteur, Vaour, 2019, p. 116.

[15L’absence relative de réflexion philosophique sur la technique à l’âge classique – absence que certains auteurs déduisent de la déconsidération du travail manuel – a été un facteur déterminant dans l’élaboration d’une conception purement instrumentale de la technique. La technique, en revanche, était davantage présente dans le cadre de réflexions de type littéraire ou mythologique, par exemple à travers des figures comme Icare ou Prométhée.

[16J. B. Bury, The Idea of Progress. An Inquiry into Its Origin and Growth, MacMillan and Co, Londres, 1921.

[17D. F. Noble, The Religion of Technology. The Divinity of Man and the Spirit of Invention, Alfred A. Knopf, New York, 1997.

[18L. Mumford, Le mythe de la machine. Tome 2 : Le pentagone de la puissance, Fayard, Paris, 1974, p. 265-271.

[19F. Flahault, Le crépuscule de Prométhée. Contribution à une histoire de la démesure humaine, Mille et une nuits, Paris, 2008.

[20J. Luzi, op. cit., p. 62.

[21D. F. Noble, Progress without People. In Defense of Luddism, Charles H. Kerr, Chicago, 1993.

[22Certains ont été particulièrement pertinents, comme les créateurs romantiques (William Blake, Lord Byron), le mouvement transcendantaliste américain (Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau) et des socialistes antiprogressistes comme William Morris ou Gustav Landauer.

[23L. Mumford, Les transformations de l’homme, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, Paris, 2008.

[24F. Fernández Buey, « Sobre la crisis y los intentos de reformular el ideario comunista », Mientras tanto, n° 3, 1980 ; « El marxismo ante la crisis de civilización », Mientras tanto, n° 38, 1989.

[25C. Castoriadis, « Réflexions sur le “développement” et la “rationalité” », dans Domaines de l’homme. Les carrefours du labyrinthe 2, Seuil, Paris, 1999 [1986], p. 181, en italique dans le texte.

[26C. Mitcham, Thinking through Technology. The Path between Engineering and Philosophy, The University of Chicago Press, Chicago, 1994.

[27B. Preston, A Philosophy of Material Culture. Action, Function, and Mind, Routledge, Londres, 2013.

[28J. Berger, Pig Earth, Writers and Readers Cooperative, Londres, 1979.

[29M. Foucault, Leçons sur la volonté de savoir (1970-1971), EHESS/Gallimard/Seuil, Paris, 2011.

[30D. Harvey, Le nouvel impérialisme, Les Prairies ordinaires, Paris, 2010.

[31J. Van Daal, La colère de Ludd, L’Insomniaque, Paris, 2012.

[32T. Shanin, Late Marx and the Russian Road. Marx and the Peripheries of Capitalism, Monthly Review Press, New York, 1983.

[33G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Aubier, Paris, 2012 [1958], p. 162-163.

[34A. Almazán Gómez, « El Sistema Técnico en la obra de Jacques Ellul », Papeles de Relaciones Ecosociales y Cambio Social, n° 133, 2016, p. 65-81.

[35T. P. Hughes, Networks of Power. Electrification in Western Society, 1880-1930, John Hopkins University Press, Baltimore, 1983.

[36J. Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, Armand Colin, Paris, 1954, p. 98.

[37C. Castoriadis, « Réflexions… », art. cité, p. 182-183.

[38J. Rockström et al., « Planetary Boundaries. Exploring the Safe Operating Space for Humanity », Ecology and Society, vol. 14, n° 2, art. 32, 2009, http://www.ecologyandsociety.org/vol14/iss2/ art32/.

[39G. Anders, L’obsolescence de l’homme. Tome 1 : Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances/Ivréa, Paris, 2002, p. 17.

[40Ibid., p. 31.

[41G. Anders, Nous, fils d’Eichmann, Payot, Paris, 2003, p. 53-54.

[42J. W. Moore, Capitalism in the Web of Life. Ecology and the Accumulation of Capital, Verso, New York, 2015.

[43G. Anders, L’obsolescence de l’homme, op. cit., p. 305.

[44J. Riechmann, Ética extramuros (segunda edición revisada y ampliada de Interdependientes y ecodependientes, Éditions de l’Université autonome de Madrid, Madrid, 2016.

[45Groupe Marcuse, La liberté dans le coma. Essai sur l’identification électronique et les motifs de s’y opposer, La Lenteur, Vaour, 2019 ; J. Laïnae et N. Alep, Contre l’alternumérisme, La Lenteur, Vaour, 2020.

[46I. Illich, La convivialité, Seuil, Paris, 1973.

PS :

Cette question est vaste et divers courants peuvent exister et peu remette en cause la non-neutralité de la technique. Voici quelques illustrations de ces réflexions, mais bien d’autre peuvent exister.

La technique comme processus de subjectivation

La technique comme dualité
Cette réflexion, dans le continuité du texte précédent, est peut être la plus commune mais n’est plus guère défendu tel qu’elle aujourd’hui. Elle essaye de démêler ce qui fait émancipation de ce qui fait aliénation dans la technique sans faire une analyse basé sur les utilisateurs et leurs usages.

La technique comme relation
Gilbert Simondon, contrairement à ce qui est défendu dans l’article, a développé une approche de l’aliénation de l’individu technique et de sa relation toujours évolutive avec son propre milieu technique ne se réduisant pas à la neutralité de la technique et en tire des conclusions originales au sein de la philosophie de la technique.
L’oeuvre principal de Simondon s’appelle Du mode d’existence des objets techniques mais est difficilement accessible à la lecture. Des travaux de redécouverte de cette pensée sont en cours et en ont publié des approches plus simple

La technique comme capacité d’agir biaisée socialement
Technique et agency - Andrew Feenberg

La technique comme constitutive des formes de vie
La baleine et le reacteur - Langdon Winner

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