"conspirationniste" qui nécessite de définir leur emploi (voire la note à la fin)*.
Le festival Les Foisonnantes organisé par une association du même nom doit se dérouler les 15, 16 et 17 septembre prochains (2023), sur la commune des Mées (04190, mairie PCF). Trois jours pour trois sujets, le festival propose de tracer de nouvelles perspectives pour notre société dans les domaines "de la santé, de l’instruction, et de l’économie". Les Foisonnantes sont sous-titrées "rencontres évolutionnaires", il manque un "r" et on sait pourquoi. Sous une affiche au ton "alternatif-écolo" et un joli site internet coloré se cache un foisonnement d’idées et de personnages confusionnistes et conspirationnistes aux accointances sérieuses avec l’extrême droite.
Si on laisse la page d’accueil, vantant l’organisation "holarchique" [1] du festival et l’urgence de faire société autrement, pour la liste des intervenants et le programme de ces trois jours, on se rend rapidement compte qu’il s’agit en fait d’une tribune pour la sphère dissidente gravitant autour de Louis Fouché et RéinfoCovid. Sous couvert de dissidence et de résistance, cette mouvance diffuse des théories réactionnaires et conservatrices d’extrême droite alimentant le confusionnisme. Un article paru en février 2023 sur Marseille Infos Autonomes alertait déjà sur la teneur de ce type d’évènement.
Un festival pour une société meilleure... accueillant les intervenants les plus réactionnaires...
Premier fait attirant l’attention, le festival est parrainé par Christian Perrone. Cet ancien médecin est l’un des membres fondateurs du Conseil Scientifique Indépendant (CSI) dont 15 des 16 membres s’étant exprimés publiquement ont appelé à voter pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Il fait égalment partie de l’association BonSens aux côtés de figures telles que Valérie Bugault (voir plus bas), Alexandra Henrion-Claude (RéinfoCovid, Manif pour Tous), Xavier Azalbert (directeur de site trumpiste FranceSoir) et nie l’existence de la 2e vague du covid.
Mais voici un petit tour des personnalités les plus problématiques intervenant dans ce festival.
Tout d’abord, on retrouve Louis Fouché en tête d’affiche. Ce dernier est le principal animateur de RéinfoCovid. Il diffuse un discours conspirationniste et confusionniste aux atours bienveillants depuis le covid. S’il prétend parler à tout le monde, il s’avère qu’il ne s’exprime que sur des médias d’extrême droite (Cnews, Sud Radio, Radio Courtoisie, FranceSoir, TV Libertés). Il organise aussi régulièrement des discussions avec des néonazis et relaie des sites/livres d’extrême droite. On peut ainsi le voir (exemples parmi tant d’autres) dialoguer amicalement avec Yannick Lescure qui se revendique "national-socialiste" (nazi) ou avec Marc-Gabriel Draghi (auteur antisémite du livre "Le règne des marchands du temple" affirmant "les juifs visent à la domination mondiale"). Louis Fouché remet aussi en cause à plusieurs reprises la légitimité morale et politique du recours à l’IVG qu’il considère être "un totalitarisme".Il a soutenu la tribune des généraux putschistes appelant à l’intervention de l’armée dans les citées lors d’un discours à Nîmes en 2021.
Louis Fouché est aussi l’un des principaux intervenants des films "Tous résistants dans l’âme" de Stéphane Chatry et "Suspendus, des soignants entre deux mondes" de Fabien Moine qui seront projetés durant le festival. Les deux réalisateurs interviendront également lors de conférences. Fabien Moine, proche de Louis Fouché, participe au réseau RéinfoCovid et relaie à plusieurs occasions des auteurs et éditeurs racistes et antisémites (Francis Cousin, Cultures et Racines, etc.) sur ses réseaux sociaux.
On vous propose deux articles pour plus de détails sur les penchants d’extrême droite de la sphère RéinfoCovid :
- "Louis Fouché, gourou d’une pépinière d’extrême droite" paru sur Lundi Matin
- "A propos de la projection du film Tous résistants dans l’âme" paru sur Marseille Infos Autonomes
Pour nous parler d’instruction alternative, les organisateur.ices du festival ont eu la bonne idée d’inviter Jean-Paul Brighelli, chroniqueur régulier dans le magazine conservateur Causeur où il déploie sa verve réactionnaire. Ce professeur de Lettres défend une vision ultra-conservatrice de l’éducation. Il a été représentant du parti d’extrême droite Debout la France de Dupont-Aignan avant de se rapprocher du Rassemblement National et d’intervenir à l’université d’été de ce parti.
Vincent Pavan est également invité à parler d’instruction. Il est lui aussi membre fondateur du CSI et est le créateur de RéinfoLibertés qui aide au financement de RéinfoCovid. Vincent Pavan et son acolyte de conférence Tristan Edelman ont tous deux participé au CNC 2023 (Congrès National Citoyen organisé par le Comité du salut du peuple) à Toulon avec la crème de l’extrême droite (Alain Sorral (Egalité et Réconciliation), Chloé Frammery (Qanon, antisémite, proche de Dieudonné), Yvan Bennedetti (parti nationaliste français), Christian Piquemal (cercle des patriotes souverainistes), Etienne Chouard (négationniste), Général D. Delawarde (antisémite et signataire de la tribune des généraux, etc..)), ce qui laisse peu de doute sur leurs affinités politiques.
Le troisième jour sera consacré à "(re)faire société". Les personnes citées précédemment à l’exception de Jean-Paul Brighelli auront de nouveau des tribunes pour s’exprimer. Quelques nouvelles têtes les rejoignent pour le bouquet final.
C’est le cas de Christophe Cossé, producteur du documentaire conspirationniste "Hold Up". Ce film, sorti en 2020 pendant la crise sanitaire, fait la part belle à l’extrême droite et à la nébuleuse Qanon (mouvement conspirationniste qui érige Donald Trump en sauveur de l’humanité) et avance la théorie du complot d’un "Great Reset". Valérie Bugault, Louis Fouché et Christian Perronne y sont d’ailleurs interviewé.e.s. Son second opus, "Wake up" sera projeté dans le cadre du festival.
Philippe Guillemant sera aussi de la partie. Ce proche de Pierre Barnérias (réalisateur du documentaire "Hold Up"), ancien chercheur désavoué du CNRS, s’est converti au développement personnel et au conspirationnisme spécialisé dans les prophéties annonçant "une ère transhumaniste".
Intervenant le 3e jour au côté des personnes précédemment citées dans une grande conférence intitulée "le grand virage de l’humanité", Valérie Bugault n’est pas en reste. Ancienne proche de François Asselineau, elle était coordinatrice de son parti l’UPR en 2014. Elle a participé plusieurs fois à la Fête du Pays Réel organisée par Civitas (organisation catholique intégriste d’extrême droite) et contribue au média soralien antisémite Egalité & Réconciliation dont elle est l’ex-numéro 2. Elle est également membre de l’association BonSens au côté d’autres figures d’extrême droite. Cette conférence risque de s’apparenter à un meeting d’extrême droite.
Antisémitisme toujours, l’ancienne psychologue conspirationniste Lucie Mandeville s’est notamment faite remarquer dans une vidéo où elle s’interroge sur le rôle des juifs dans la pandémie et relaie les Protocoles des Sages de Sions, pamphlet antisémite connu pour avoir largement diffusé le mythe du "complot juif" au XXe siècle. Cette dernière est coutumière des échanges avec Philippe Guillemant et Louis Fouché.
Des rencontres évolutionnaires… mais certainement pas révolutionnaires…
Loin de proposer une analyse du contexte politique actuel (replis identitaires et montée des idées d’extrême-droite, casse sociale et dégradation des services publics, augmentation de la répression des mouvements sociaux, des violences aux frontières et de l’arsenal sécuritaire, …) et de défendre des visées émancipatrices et anti-autoritaires face au climat actuel, le texte de présentation des foisonnantes fait appel à une vision néolibérale sauce développement personnel et spiritualité bon marché de transformation de la société :
« Pourquoi les Rencontres évolutionnaires ?
En réaction à la fragilisation des systèmes sanitaire, éducatif et économique qui touche de plein fouet les communes rurales et les milieux urbains défavorisés, naît l’urgence de propositions complémentaires ouvrant à des perspectives sociétales créatrices d’avenir. Voyant qu’il suffit de déplacer une seule lettre pour que « réaction » devienne « création », les Foisonnantes se sont engagées sur un chemin évolutionnaire*. […]
* Jean-François Noubel « Intelligence Collective », 2013. » [2]
Lorsqu’on se rend sur le site de Jean-François Noubel pour tenter de comprendre ce qu’est un « chemin évolutionnaire », on y trouve un gloubiboulga de critiques de l’économie néolibérale, de solutions aux relents ésothériques dans « l’intelligence sociale augmentée », « de conscience collective supérieure ».
Face aux écueils de l’économie néolibérale, Jean-François Noubel propose dans ses « lives évolutionnaires » de « voyager dans les monnaies libres, l’économie intégrale, les crypto-technologies, la collapsologie, l’intelligence collective holomidale, le développement transpersonnel, les architectures invisibles, la transformation du corps individuel et collectif, le passage du rationnel au transrationnel, les holons, l’émergence, la dynamique des synchronicités, la surlangue, le “go hack yourself”. » [3]
Plutôt que d’inviter à s’organiser collectivement pour créer des solidarités concrètes et faire face ensemble aux enjeux sociaux, écologiques et climatiques actuels, Jean-François Noubel souhaite soutenir l’émergence de figures individualisées de « leader évolutionnaires » [4] dont la description rappel les figures de leader new age et capitalistes de Jeff Bezos et Steve Jobs.
Du confusionnisme des évènements "alternatifs" perdus en eaux troubles.
Les Foisonnantes nous donnent un très bon exemple d’une des formes que peut prendre le confusionnisme. Derrière une multitude d’ateliers bien-être et de spectacles, sont proposées des réflexions politiques sur la santé, l’instruction et l’économie soi-disant pour un autre monde mais qui font intervenir en grande majorité des personnalités réactionnaires et proches de l’extrême droite. Ces intervenant.e.s portent en général un discours confus empreint d’ésotérisme et proposant des solutions individualistes, iels mêlent à leurs paroles des éléments de langage et des références de gauche qui participe à brouiller leur appartenance politique lorsqu’iels font la promotion d’idées conservatrices, antisémites, antiféministes, lgbtphobes, souverainistes et nationalistes.
Alors ne vous méprenez pas, leur autre monde rêvé n’est pas le nôtre. Paradoxalement, nous trouvons que les organisateur.ice.s, dans leur discours "a-politique", ont clairement un impact politique puisque dans ce festival les invité.e.s amené.e.s à traiter de questions politiques ont presque systématiquement de fortes accointances avec l’extrême droite et ses idées. Si le confusionnisme traverse souvent les luttes, les collectifs et les associations à gauche et que c’est parfois difficile de s’en rendre compte, nous pensons qu’il faut s’emparer du sujet, entamer une réflexion sur la dynamique confusionniste et ses conséquences. Face à la multiplication de ces évènements confusionnistes brouillant les repères politiques et ne servant à terme que la propagation des idées d’extrême droite, réaffirmons notre vision de l’autre monde auquel nous aspirons. Une vision émancipatrice, anticapitaliste, anti-autoritaire, antifasciste, féministe et antiraciste, plutôt internationaliste et contre les frontières que nationaliste et xénophobe, en lutte pour se débarrasser des systèmes d’oppressions et de dominations quels qu’ils soient. En tous cas, ce ne sera jamais une vision ultra-libérale, ventant le darwinisme social, encline à améliorer la vie de quelques-un.e.s en rejetant et stigmatisant les autres et à revendiquer des "libertés" en faisant régresser les droits de personnes minorisé.e.s. Ne laissons pas l’extrême droite et ses idées entrer et se diffuser dans les milieux alternatifs écolos peu politisés sur les questions antifascistes. Portons partout nos valeurs progressistes et nécessairement antifascistes.
Nous entendons par confusionnisme des discours "permettant des passages confus et de plus en plus usités, parfois conscients et souvent non-conscients, entre des thèmes et des postures d’extrême-droite, de droite, de gauche modérée et de gauche radicale" [5] et plus précisément "une rhétorique d’extrême droite qui emprunte des thèmes appartenant a priori au bord opposé [critique du libéralisme, de l’Union européenne, la revendication de la démocratie directe, l’écologie, l’appel à la mobilisation générale, la référence au peuple] du champ politique pour masquer un projet qui reste fondamentalement d’extrême droite." [6]
Le confusionnisme s’appuie sur des stratégies de désinformation ("technique de manipulation de l’opinion publique par la diffusion d’informations fausses, véridiques mais tronquées, ou véridiques avec l’ajout de compléments faux" [7] )… et de "réinformation".
Conscient.e.s que le gouvernement utilise régulièrement le terme de "complotiste" pour discré-diter des luttes ou des mouvements sociaux et nous pensons aussi que c’est de l’enfumage [8].
Nous entendons ici par conspirationnisme le fait "d’interpréter systématiquement l’Histoire et ses évènements sous le prisme d’un grand complot national ou international à l’aide de théo-ries dites "théories du complot" " [9]. Ces théories ont tendances à désigner des groupes sociaux comme conspirateurs tirant les ficelles du monde en secret pour leurs intérêts et ainsi respon-sable de tous les malheurs du peuple. Le plus souvent, les groupes désignés sont des groupes en réalité marginalisés au sein de la société et ces théories permettent donc de diffuser et renforcer les idéologies oppressives d’extrême droite.