« Quand on parle, ils nous écoutent pas donc on se fait entendre autrement »

« Jeunes de quartiers. » Depuis la mort de Nahel et les révoltes qui en découlent, ces jeunes sont omniprésents dans les médias. Pourtant, leurs voix restent rares, voire complétement absentes. Ils sont qualifiés de casseurs, d’émeutiers ou de nuisibles par le syndicat de police Alliance. Sans minimiser les conséquences pour les habitants, au Bondy Blog, il nous a semblé indispensable d’entendre la colère de ces jeunes qui décident, chaque soir, de descendre dans la rue.

Amine, Bryan, Abdou et Issa* ont l’habitude de se croiser à l’école, au City-stade ou à l’épicerie du coin. Depuis quelques jours, ils se croisent plutôt la nuit dans le contexte particulier que nous connaissons. Ils ont entre 18 et 25 ans, viennent de quartiers populaires d’Ile-de-France.

Nahel avait seulement deux ans de plus que mon petit frère, vous vous rendez compte ? Mon petit frère !

Spontanément, ils sont descendus dans la rue, masqués, pour crier leur colère dès mardi soir : « Il était urgent de dénoncer ces violences et de demander justice », commence Amine. Bryan poursuit : « Le vase, il a débordé depuis bien longtemps. Ce qui s’est passé à Nanterre cette semaine, c’était la fois de trop. Nahel avait seulement deux ans de plus que mon petit frère, vous vous rendez compte ? Mon petit frère ! » La conversation est rythmée de silences. Le jeune homme raconte à quel point il s’est identifié à ce drame « et je ne suis évidemment pas le seul, on est tous des Nahel aujourd’hui. »

Tu connais, les contrôles vu où on habite, c’est la routine

« Je pense que toute personne ayant connu un contrôle au faciès s’est sentie concernée par cet événement. Tu connais, les contrôles vu où on habite, c’est la routine », reprend Amine, qui raconte se faire contrôler par la police depuis beaucoup trop longtemps et beaucoup trop souvent.
Des contrôles de police « humiliants »

« Ces contrôles sont toujours humiliants, même quand ça se passe bien, il y a toujours ce ton, ce mot qui pique, ces remarques racistes de trop. On a l’habitude d’entendre nos mamans insultées lors de ces contrôles. Tout ça, c’est pas violent ? », enchaîne Issa, plus discret jusqu’ici, étudiant en BTS. « En réalité, il n’y a pas de dialogue possible avec la police quand on nous manque autant de respect », rebondit Abdou.

Ce dernier explique d’ailleurs qu’il ne s’agit pas de son premier engagement militant puisqu’il a également participé aux dernières manifestations contre la réforme des retraites, « eh ouais, on était là aussi même si personne nous a calculés », sourit-il.

Quand on parle, ils nous écoutent pas donc on se fait entendre autrement

Bryan revient sur les dernières nuits de révoltes. C’était la première fois pour lui : « On ne va pas se mentir, c’est pas simple. J’ai jamais fait ça moi. On prend des risques, on le sait, mais c’est important de nous faire entendre. Quand on parle, ils nous écoutent pas donc on se fait entendre autrement. Je me dis que ça peut se passer comme en 2005, on nous envoie l’armée pour que l’histoire passe aux oubliettes », prédit-il, en rappelant les événements douloureux des révoltes urbaines précédentes.

Nous nous faisons du mal pendant que nos dirigeants vivent bien et dorment paisiblement dans les beaux quartiers

Issa conclut : « Il est important de se faire entendre, il était nécessaire de sortir et de crier notre colère. Maintenant, je ne pense pas que la justice sera rendue si nous continuons à détruire nos propres quartiers. Nous nous faisons du mal pendant que nos dirigeants vivent bien et dorment paisiblement dans les beaux quartiers. »

Salimou Danfakha et Sarah Ichou

Crédit photo : Marie-Mène Mekaoui

PS :

* Les prénoms ont été modifiés.

A lire aussi...