Rupture et quotidien : sur quelques discours et pratiques

Court texte de Fractale qui revient sur plusieurs discours et pratiques qui nous empêchent de situer matériellement ce que nous vivons depuis l’apparition du Covid-19, qui participent de ce fait à la paralysie collective qui nous traverse.

Il y a finalement quelque chose de providentiel à travers les différents discours et analyses qui existent depuis le début de la pandémie. Comme si tout ce qui existait depuis deux ans était absolument nouveau, comme s’il y avait une rupture historique dans nos devenirs quotidiens et matériels.

Cette attitude qui relève de l’étonnement permanent permet de renouveler à peu de frais des discours indignés et le personnel politique qui s’en revendique. Il est fort à parier que certains individus aient perçu un nouveau marché intellectuel et économique afin d’analyser ce qui se passe depuis Wuhan.

De plus, la prolifération de critiques qui prétendent le caractère absolument inédit de la catastrophe ne font que banaliser le désastre écologique et humain, tout autant qu’ils annihilent les possibilités de détruire ce qui produit l’inertie face à notre actualité.

Pourtant, il ne semble pas que le quotidien de milliards de personnes est fondamentalement changé depuis le début de cette pandémie, si ce n’est dans l’intensification toujours plus forte de logiques déjà en cours.

Que l’on prenne les discours centrés sur les dispositifs sécuritaires et technologiques, les théories du complot toujours plus inédites ou les discours critiques scandalisés, il n’en est pas moins que chacun prétend la pure et absolu nouveauté de son champ d’énonciation qui fonde la révélation qu’il prétend nous enseigner.

Jusqu’ici, il ne semble pas nouveau que les plus pauvres soient continuellement voués à faire tourner une machine qui les détruit jusqu’à l’épuisement, et même jusqu’à la mort.

L’unique nouveauté significative réside malheureusement dans le décompte journalier du nombre de malades et de morts du au rapport que le Capital entretient avec la vie, et finalement avec la mort.

L’autre nouveauté concurrente, factice, puérile et dangereuse est celle qui réside dans le champ purement discursif qui ambitionne de diffuser sa propre révélation théorique pour nous sauver de ce monde et du drame humain qui l’accompagne.

Il semble que ce qui sous-tend et rapproche la multiplicité des discours réactionnaires, conspirationnistes et scandalisés réside dans l’absence d’un minimum de contextualisation historique et matérielle.

En somme, il convient d’affirmer que ce qui nous traverse nous dépasse finalement tous tant dans les déterminations historiques que dans les récentes transformations économiques et sociales quotidiennes induites suite à l’apparition de la pandémie.

Dépassement car la formation écologique d’un tel désastre était déjà en cours depuis un moment. Dépassement aussi car la mise au travail malgré des risques mortels documentés n’est finalement pas nouvelle.

Aussi, il est nécessaire de reconnaitre ses propres méconnaissances sur la situation. De dire sans honte : nous ne savons que trop peu de choses de cette maladie. Dès lors que nous ne savons pas, si ce n’est que cette maladie se diffuse rapidement et tue (et c’est bien la centralité de notre problème), il s’agit de prendre certaines précautions individuelles et collectives, car ne sachant pas tout, il est de rigueur de ne pas se mettre en danger soi et les autres.

A partir de notre propre camp, il semble que l’absence de prendre soin des autres en portant masques et en se vaccinant, de réfléchir collectivement à comment freiner la circulation d’un virus ou de minimiser les risques en prenant plusieurs précautions ne fasse pas tant évènement.

Cela car des logiques conservatrices et libérales traversent notre camp depuis déjà longtemps.

Cette crise, si elle « révèle » quelque chose, est qu’elle est finalement comme toute crise sociale. Elle donne à re-voir et re-grossir certains comportements, à repartager et redessiner certaines dynamiques relationnelles. Une multiplicité d’attitudes finalement déjà-là, qui posaient déjà problème, et qui le sont d’autant plus aujourd’hui quand il s’agit de mettre en place quelques gestes anodins mais pourtant cruciaux comme se masquer, refuser de se retrouver en intérieur, aérer ou fermer certains espaces collectifs, associatifs, de travail …

Quelques effets divers et variés nous sont apparus :

confusions et déclarations conspirationnistes, attitude libérale vis-à-vis de la pandémie, négation du virus, posture à refuser ce qui est perçu systématiquement comme injonction mensongère venant de l’Etat et du gouvernement notamment sur le port du masque et la vaccination, déresponsabilisation à ne pas partir de soi ou d’une communauté donnée…

Ces discours et pratiques font rentrer dans l’ordre des choses ce qui se déroule depuis l’apparition du Covid, tout comme différents savoirs et pouvoirs faisaient déjà rentrer dans l’ordre des choses notre rapport quotidien au Capital.

Toutes les difficultés que nous avons pour nous battre contre les déterminations, les effets et les banalisations politiques de ce virus et ses différentes formes d’eugénisme nous rappellent fortement ce qui existait avant l’apparition de la pandémie.

En l’occurrence, nous connaissions déjà une multiplicité de problèmes pour se battre contre les déterminations, les effets et les banalisations induites par la reproduction de notre organisation sociale. Si nous avons aujourd’hui autant de mal à créer et expérimenter, c’est parce que se battre contre la gestion de ce virus est une bataille contre l’Etat et le Capital, et le rapport à la santé et la vie qu’ils nous imposent depuis maintenant trop longtemps. Nous connaissons les mêmes défaites, sur un terrain différent et « nouveau », mais finalement très semblable historiquement.

L’apparition du Covid-19 il y a maintenant deux ans nous a permis de percevoir une accumulation de récits spectaculaires qui pointent l’originalité de leur propre communication.

Chaque opérateur de conscience prétend sa propre communication anthropologique et fondatrice sans lien quelconque avec la matérialité des vies qui sont visées par cette communication. Ceux qui vivaient déjà cela et pour qui cela n’a au fond rien changé ne sont pour ces énonciateurs que des objets destinés à des fins communicationnelles et politiques.

Ils créent, à partir de leur propre théorie, le début et le commencement d’une logique humaine transcendantale.

La révélation de la coupure historique n’a alors que pour but de révéler à son propre narrateur le génie de sa théorie révélée publiquement et jusqu’ici prétendument ignorée et noyée dans l’inconscient collectif.

En désirant démystifier notre rapport au réel, ils ne font que remystifier sur de nouvelles bases ce même réel.

Si des analyses sur ce qui se passe actuellement doivent continuer d’émerger, elles doivent se situer sur un terrain qui permet d’intégrer les fondements ayant permis l’émergence historique d’un tel virus à l’échelle planétaire ainsi que la reproduction sociale de la machine capitaliste. L’urgence de la situation ne doit pas nous faire oublier la pérennité dans le temps de ce qui se déroule depuis maintenant deux ans.

Dénoncer les discours spectaculaires qui s’articulent autour de la nouveauté ne signifie pas de banaliser la pandémie. Bien au contraire, cette réflexion désire inclure sur le temps long ces « nouvelles » analyses mais surtout la vie de celles et ceux qui étaient déjà traversé par le désastre de la reproduction de notre organisation sociale et toutes les formes d’exploitation et de domination déjà existantes.

La « vie d’avant » ne diffère pas ostensiblement de la « vie d’après » car la totalité de notre quotidien a déjà été intégré, capturé, extrait et exploité, ou du moins en voie de l’être.

C’est d’ailleurs bien l’acte de normalisation en cours que de « vivre avec le virus » et d’exister avec la peur d’attraper une maladie mortelle. C’est le refus de cette normalité et de ses déterminations dont il est nécessaire de se débattre. Nous ne désirons pas plus la « vie d’avant » que la « vie d’après ».

La rupture qui manque, celle qui détruirait le rapport au langage entretenu par ces productions mystiques, est celle qui briserait la normalité de nos existences, et non celle qui énonce inlassablement sa propre originalité dans toute son immatérialité historique.

Enfin, au risque de tomber dans les mêmes faiblesses et risques que ces discours, il convient de dire que ces discours et pratiques se situent eux aussi historiquement et il n’y a rien de nouveau dans l’énonciation de déclarations qui promettent de dévoiler le réel pour mieux atteindre un idéal de liberté que quelques individus éclairés nous concéderaient généreusement.

En définitive, il revient de se battre contre ce qui a engendré ce rapport de quotidienneté matériel et permanent vis-à-vis du réel, que cette maladie n’a pas fondamentalement fait évoluer, mais bien plutôt aggravé.

L’urgence réside finalement de prendre soin de nous, de ce que l’on peut faire à notre échelle en freinant les logiques d’exploitation et de domination qui subsistent à travers et pendant la pandémie. De se battre contre ce qui se joue chez soi et dans notre propre camp qui est lui aussi pourri par des formes conservatrices, libérales et eugénistes.

Enfin, d’analyser ensemble ce qui se déroule dans nos vies, et de penser l’évènement qui pourrait faire rupture avec la continuité historique en cours. De faire rupture avec ce qui nous rompt et nous sépare quotidiennement.

L’entretien de ces discours nous empêche de voir ce que nous connaissions et vivions matériellement, d’oublier toutes les formes d’exploitation existantes avant le Covid-19, et qui se reproduisent encore maintenant.

Ne déplaise à ces révélateurs, si la catastrophe existe, il n’y a nul besoin de catastrophisme, car le désastre est déjà-là, et il est bien assez visible, discernable et invivable comme cela.

Source :
https://fractaledit.wordpress.com/2022/01/20/rupture-et-quotidien-sur-quelques-discours-et-pratiques/

Sur le mouvement anti pass :
https://diacritik.com/2021/10/05/valerie-gerard-ce-mouvement-anti-pass-ne-construit-rien-de-commun-mais-prone-la-destruction-de-toute-communaute-tracer-des-lignes/

Quelques sites d’infos sur l’évolution de la pandémie et ses aléas :
https://leprintempsducare.org/
https://ducotedelascience.org/

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Brochures :
https://ravageeditions.noblogs.org/post/2020/05/01/denegations-maria-desmers/
https://infokiosques.net/spip.php?auteur838
https://fr.crimethinc.com/languages/fran%C3%A7ais
https://theanarchistlibrary.org/category/topic/covid-19

Situation sanitaire dans les prisons et les CRA :
A bas les CRA :https://twitter.com/bas_cra
L’envolée : https://twitter.com/l_envolee
Lyon : https://twitter.com/anticra_lyon
Toulouse : https://twitter.com/CraAnti

Covid et handicap :
Elisa Rojas:Avocate de base. Binationale. Militante Handicap, Féminisme, Intersectionnalité...
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CLE autistes : contre le validisme, luttent pour leurs droits et contre les injustices
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Le collectif féministe qui démonte les idées reçues sur le handicap :
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