Les canons ou la mort ?

Les querelles de clocher aussi se modernisent : à Gresse-en-Vercors, petite station à cinquante kilomètres au sud de Grenoble, le village se déchire sur l’opportunité ou non d’installer des canons à neige. D’un côté, les habitants historiques, garants de l’âme de cette petite station familiale, favorables aux enneigeurs. De l’autre, les nouveaux arrivés, ne travaillant souvent pas dans le village, et hostiles aux canons. Et quelque part, il y a Marcia, un peu paumée dans tout ce bazar : la station de Gresse, c’est sa famille, mais elle ne comprend pas cette obsession des canons. Elle nous embarque au pied du Grand Veymont.

Cette article est repris du journal grenoblois Le postillon, et plus précisément du numéro de l’été 2021 et son supplément spécial montagne. (allez faire un tour sur leur site, il y a pleins d’articles qui vallent le détour et vous trouverai même une page pour vous abonnez, recevoir les journaux papiers et les soutenir, et tout ça en une action). L’article aborde la question des canons à neige dans le cas d’une petite station de l’Isère, Gresse-en-Vercors. Loin de s’arrêter à une prise de possition nette sur la question, l’auteure oscille entre deux positions : pour ou contre les canons a neige ? Un peu de reflexion pour ce début de saison d’hiver :

« Ça se voyait dès le début que le maire et sa liste allaient fermer la station. » Elle est en colère, cette habitante de Gresse-en-Vercors, comme presque toutes les personnes présentes. Ce 29 décembre, environ 60 personnes se sont réunies à la salle du Grand Veymont.

Covid oblige, deux groupes alternent. Les uns attendent dehors dans le froid, pendant que les autres rentrent. Ce rassemblement a pour but de monter une « association de défense et diversification des sports d’hiver ». Sont présents des moniteurs en rouge, des habitants de résidences secondaires, des perchmans, la coiffeuse, la boulangère. Tous assez inquiets et remontés.

Je connais la plupart des personnes présentes. La station de Gresse, c’est la famille. J’ai passé beaucoup de temps à l’ombre du Grand Veymont, entre le Serpaton et les balcons est du Vercors. En 1975, mes grands-parents ont acheté un chalet pour y passer les week-ends et les vacances. Aujourd’hui, un de mes tontons est directeur des pistes. Un autre a rencontré sa femme en skiant à Gresse. Mon papa a travaillé en tant que moniteur, ma maman dans le magasin de location en bas des pistes. J’ai fait six saisons en tant que perchwoman, ce qui m’a bien dépanné pendant mes études.
La famille, ça décrit bien l’ambiance de la station. Ici, on est loin de la démesure des grandes stations de la Tarentaise et de l’Oisans. Un seul télésiège, neuf tire-culs, une clientèle essentiellement locale, c’est tout petit comme station, presque mignon. Mais depuis cet hiver il y a une sorte de mauvaise ambiance.

Soixante ans plus tard, le tourisme est bien plus qu’un « complément » à l’activité agricole traditionnelle, le nombre de paysans étant passé de cent-un en 1880 à quatre aujourd’hui.

En toile de fond, les questionnements classiques traversant toutes les petites stations de moyenne montagne devant affronter réchauffement climatique et concurrence des grosses stations.Faut-il ou non s’équiper de canons à neige ? Vaut-il mieux miser sur une diversification, et si oui, comment ? Dans combien de temps ?

L’histoire de cette petite station est particulière. Au milieu du XIXème siècle, les 800 habitants de Gresse vivent essentiellement d’élevage et d’exploitation forestière. Les usines naissantes commencent à aspirer les jeunes, et le village amorce un long déclin. En 1945 ne reste que 275 habitants, dans une période où on commence à penser au potentiel touristique du village : « Dès cette période d’après-guerre, les Gressois sentirent confusément que le tourisme pouvait fournir un complément à l’activité agricole traditionnelle. En 1947, un premier téléski est installé. (…) Gresse, station touristique ? Quelques-uns y croyaient. D’autres, plus nombreux, n’y croyaient pas encore [1]. »

Mais ces prémisses n’empêchent pas l’exode rural de se poursuivre. En 1965, il n’y a plus que 165 habitants. C’est à ce moment que l’idée d’une véritable station de ski prend forme.

Soixante ans plus tard, le tourisme est bien plus qu’un « complément » à l’activité agricole traditionnelle, le nombre de paysans étant passé de cent-un en 1880 à quatre aujourd’hui. C’est la station qui permet de faire vivre le village, qui s’est repeuplé jusqu’à compter environ 400 habitants, sans avoir été complètement dénaturé comme à l’Alpe d’Huez ou ailleurs. Beaucoup des travailleurs sont des enfants d’anciens habitants, et ont donc un attachement viscéral à la station.

Si les cerveaux se sont tant échauffés en ce mois de décembre, c’est à cause de la nouvelle municipalité, élue en 2020. L’ancienne équipe avait voté l’installation de neuf canons à neige, et la première phase des travaux – du terrassement et de l’enherbement – avait été entamée. En mars 2020, une nouvelle liste « participative » a été élue, avec à sa tête Jean-Marc Bellot. Elle valide la deuxième phase des travaux, un changement de transformateur électrique. Mais qui se montre dubitative à propos de la dernière phase : l’installation des canons à proprement parler.

Comme une partie de l’ équipe municipale n’est pas pour, le maire annonce le 8 décembre 2020 la tenue future d’un référendum sur la question : « Pour ou contre l’installation de neuf canons à neige ? »

Voilà l’étincelle qui met le feu aux poudres. Les pro-canons ne veulent pas que les enneigeurs puissent être remis en question et ont pris l’annonce du maire comme un affront, d’où la création de l’« association de défense et diversification des sports d’hiver ».


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Notes :

[1Citation extraite du bouquin de Georges Martin, Gresse-en-Vercors, du passé à l’avenir, éditions des cahier de l’alpe ; 1971.

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