Mercredi 26 janvier 2022, après près de deux ans d’une enquête menée depuis février 2020 par la DGSI, la chambre de l’instruction [1] a rejeté sans surprise la série de « requêtes en nullité » déposées par les avocat·es de certain·es des inculpé·es. Sans surprise parce que la reconnaissance de ces nullités mettait en jeu l’existence même de l’affaire dite du 8 décembre [2], et que la justice s’est dans cette histoire montrée prête à s’asseoir sur ses propres principes pour valider le storytelling antiterroriste. Les inculpé·es et leurs avocat·es ont 5 jours pour se pourvoir en cassation, la décision n’est donc à ce jour pas définitivement actée.
Une « nullité » pourrait vulgairement se définir comme une erreur de procédure, une irrégularité ou illégalité dans les actes d’enquêtes menés dans le cadre d’une affaire judiciaire. Dans le cadre de l’affaire du 8/12, toutes les nullités déposées touchent directement à la base de l’enquête. Il faut ici revenir sur un point très particulier de cette affaire (mais commun à la plupart des affaires pour « association de malfaiteurs terroriste ») : en règle générale, comme on peut l’imaginer, une enquête est lancée par le parquet [3] après le constat de la commission d’une infraction. Là, non. Pas de plaintes, pas de victimes, pas de crime ni de délit à l’origine de l’enquête. Mais un « rapport » de trois pages rédigé par la DGSI, hors de tout cadre judiciaire et de tout moyen de contrôle par la défense quant à sa véracité et sa légalité. Rempli de présomption et de conditionnel. Qui réussi le tour de force de se construire sur des éléments ayant nécessité l’utilisation de ce que les services de renseignements peuvent utiliser comme techniques de surveillances les plus intrusives (écoute de conversations privées dans le cadre de relations intimes par exemple), tout en étant particulièrement flous sur les faits qui établiraient la « menace » constituée par le « groupe » surveillé.
Une histoire, en fait. Une histoire inventée par les fins stratèges du renseignement pour discréditer les militant·es internationalistes parti·es soutenir la lutte contre DAESH et la révolution sociale au Rojava en les faisant passer pour de vilains méchants loups n’ayant d’autre ambition que le chaos [4] et la lutte armée [5]. Et à laquelle le parquet national antiterroriste (PNAT) est tout à fait disposé à adhérer, puisque c’est sa raison d’être [6]. Malheureusement, une fois l’affaire sur sa lancée, difficile de s’en extraire. Depuis des années que la mécanique se rode, l’antiterrorisme a trouvé ses automatismes et ses relais dans la machine judiciaire. L’histoire de grands méchants loups sera avalisée sans plus de question par un magistrat de droit commun : le jour même du lancement de l’enquête par le PNAT, un juge des libertés et de la détention autorise la mise en place, officielle et judiciaire cette fois, de moyens de surveillance encore plus intrusifs en dépit de tout respect des closes de proportionnalité normalement requises et de tout principe de vérification d’information.
L’ironie de l’affaire c’est que ces actes d’enquête étaient alors autorisés explicitement pour “localiser, suivre et interpeller” les personnes visées. Mais c’est bien pour trouver une raison de les interpeller, raison qui n’existait pas au moment du lancement de l’enquête et dont l’existence même est in fine assez douteuse, qu’une débauche de moyens techniques [7] a été mise en œuvre pendant 10 mois. Qui plus est mise en œuvre sans respecter les quelques textes qui encadrent ce genre de pratiques (et qui font dire à la CNIL ou au conseil constitutionnel, loi d’exception après loi d’exception, que les garanties démocratiques sont bien respectées). Par exemple, impossible pour la défense de connaître la date exacte de pose d’un micro dans un véhicule, alors que c’est obligatoire de consigner formellement cette information dans un procès-verbal pour pouvoir respecter les délais légaux de maintien du dispositif. Ici deux hypothèses : 1) les policiers de la DGSI sont incompétents et ne savent pas appliquer la loi au nom de laquelle ils agissent ; 2) les policiers de la DGSI truandent et s’arrangent bien comme ils veulent avec la loi au nom de laquelle ils agissent, en couvrant leurs pratiques illégales par des omissions opportunes. Dans les deux cas, il semble qu’on trouve dans le dossier plus d’infractions relevant du code de procédure pénal que du code pénal lui-même…